L’épidémie cachée de la solitude


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  • La solitude frappe tellement de personnes dans tous les pays qu’on la considère comme l’une des plus grandes épidémies cachées et un problème majeur dans la santé publique.


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    La solitude frappe tellement de personnes dans tous les pays qu'on la considère comme l'une des plus grandes épidémies cachées et un problème majeur dans la santé publique.

    En 2011, le cadavre glacé de Judy Tak Fong Lam Chiu a été découvert sur un trottoir à 300 mètres de sa maison par un mois de janvier glacial. Chiu, âgée 66 ans, souffrant des premières phases de la démence, a abandonné sa maison en plein milieu de la nuit et elle s’est aventurée dans le froid. Elle a laissé sa veste et ses lunettes et elle a erré sans aucun but. Quand elle n’a pas pu retrouver le chemin de la maison, elle a pris peur et elle a crié pour de l’aide. Elle a frappé aux portes des maisons, égratignées des voitures en déclenchant l’alarme, mais personne n’a répondu. Elle est morte seule et on n’a jamais compris sa souffrance. On a connu ses dernières heures à travers ses empreintes sur la neige et ses marques sur les portes et les voitures. Après sa mort, un voisin avait entendu ses cris et un autre avait vu une petite vieille femme qui errait dans le noir. Personne ne l’a aidé. Tout le monde a fermé ses volets et ils sont tous retournés dans leur lit.

    La seconde histoire ne semble pas liée. Le Dr Anne Snowdon, professeur à l’Odette School of Business à l’université de Windsor en Ontario, a examiné la vie quotidienne d’enfants handicapés et de leurs soignants. Contrairement à d’autres études, ses travaux ne se sont pas concentrés uniquement sur la santé et les services sociaux, mais ils ont aussi examiné les interactions sociales. L’étude a trouvé que 53 % des enfants handicapés n’ont aucun ami. En dehors de la salle de classe, ils passent moins de 2 heures avec des enfants de leur âge. Ils n’ont jamais joué avec d’autres enfants et on ne les a jamais invités à des fêtes. Ils étaient ostracisés et totalement isolés.

    Au Canada, on parle beaucoup de l’intégration et de rompre les barrières pour faciliter l’inclusion de personnes handicapées. Mais la réalité est plus cruelle. Une vraie intégration nécessite plus que de construire des rampes d’accès pour les fauteuils roulants ou des législations sur les droits humains. L’égalité nécessite qu’on intègre les gens handicapés dans la vie quotidienne depuis leur enfance jusqu’à l’âge adulte. Ce type d’histoire, mais on peut aussi citer celles des vieux au Japon et la marginalisation des Américains, nous rappelle que dans notre société moderne, il y a des millions de personnes qui sont totalement seules.

    La solitude frappe tellement de personnes dans tous les pays qu'on la considère comme l'une des plus grandes épidémies cachées et un problème majeur dans la santé publique.

    Et cette épidémie cachée de la solitude décime les populations, notamment chez les vieux, les handicapés, les migrants et les réfugiés ainsi que les pauvres. La marginalisation frappe les pauvres, notamment s’ils vivent dans les grandes villes. Dans un livre appelé Happy City: Transforming Our Lives Through Urban Design, l’auteur Charles Montgomery considère que la solitude est le plus grand danger environnemental pour la vie dans les grandes villes. La solitude est pire que la nuisance sonore, la pollution ou la surpopulation. Étude après étude, les conclusions sont les mêmes. La solitude est aussi dangereuse pour la santé que le fait de fumer 15 cigarettes par jour. Si on n’a aucun ami, alors on augmente le risque de mort prématuré de 30 % et l’isolement social est doublement meurtrier par rapport à l’obésité. La solitude tue autant que le diabète et il augmente le risque de démence de 64 %. Et la solitude n’est pas un phénomène vague qui flotte dans l’air, car il est totalement quantifiable.

    Sur le plan biologique, la solitude stimule la production des hormones de stress. Les hormones de stress provoquent des réactions de combat et de fuite. Et à cause de ce stress, les personnes seules sont constamment dans un état d’alerte et de vigilance permanent. Cela augmente le risque de dépression et de suicide. L’isolement conduit à l’inactivité qui favorise l’obésité et le diabète. 1 sur 4 Canadiens estiment qu’ils vivent seuls. Un vieux sur six estime qu’il a une vie solitaire sans aucun ami ou famille. Et les taux explosent pour les handicapés et les malades mentaux. Les mendiants sont toujours seuls par définition et pour chaque adulte seul, il y a un enfant qui mange son déjeuner sans aucun ami ou qu’il regarde la télé sans personne à la maison.

    6 millions de Canadiens vivent dans une solitude extrême. C’est le cas pour le Canada, mais tous les pays ont une épidémie de la solitude et la pauvreté est la principale cause. Si vous êtes pauvre, alors vous avez un risque de solitude qui est 6 fois supérieur par rapport à vos pairs. Dans les cercles académiques et dans les milieux politiques, le terme de facteurs décisifs sociaux pour la santé circule de plus en plus. Sir Michael Marmot, l’un des plus grands spécialistes dans ce domaine considère que ces facteurs sont les causes des causes d’une mauvaise santé. La génétique ou l’accès aux soins n’est plus notre premier impact sur la santé, mais c’est le revenu, l’éducation, le logement, la sécurité alimentaire et notre environnement physique. Mais dans tous ces facteurs, il y en a un qui passe fréquemment aux oubliettes et c’est le sens d’appartenance. Le fait d’appartenir à une famille, aux voisins, à une communauté, à un club, une mosquée, une église, un temple ou à un lieu où des gens se rencontrent avec un saladier sur la tête. Le sens d’appartenance ajoute des années à votre espérance de vie.

    La solitude frappe tellement de personnes dans tous les pays qu'on la considère comme l'une des plus grandes épidémies cachées et un problème majeur dans la santé publique.

    Le corollaire est que l’isolement et la solitude sont dévastatrice sur la santé mentale et physique et en général, c’est la mort garantie. L’isolement est un état d’esprit, mais aussi une réalité physique. Nous devons regarder autour de nous si nos logements, nos quartiers et nos villes favorisent ou combattent l’isolement social. Chiu est morte seule, mais elle était entourée par des personnes indifférentes. Elle n’est pas morte dans son lit. Elle a appelé à l’aide, frappé à des portes, mais personne n’a répondu, car chacun s’est construit une prison dans son logement. C’était uniquement des locataires qui connaissent leur espace personnel, mais ils ne sont pas des membres d’un groupe ou d’une communauté.

    La société a beaucoup changé au fil des générations et de nombreux réseaux, qui supportaient les vieux, ont disparu. Les familles se réduisent et se séparent et nous ne sommes plus entourés par nos proches. Les gens vivent plus longtemps et ils déménagent constamment pour trouver un meilleur travail, mais cela nous laisse totalement sans aucune racine. Pour de nombreuses personnes, l’alternative de vivre seul est la vie dans les institutions. Il y a 400 000 seniors qui vivent dans des maisons de soin. Mais combien d’entre eux sont seuls ? Personne n’a étudié les impacts monstrueux de cette institutionnalisation de masse sur les vieux et leur solitude.

    Les engagements sociaux se sont transformés en produits et c’est un privilège des riches. L’éducation pour les adultes, les programmes de fitness, les concerts, les soirées dansantes et même le bingo coutent très cher. Certains peuvent penser qu’on peut contourner ces barrières avec la technologie. Après la mort de Chiu, les gens ont lancé le débat sur des bracelets de GPS. Donc, on traite les vieux comme des chiens ? Et le Tracking par GPS n’est qu’une aberration quand une personne comme Chiu frappe à votre porte et que vous vous en foutez royalement.

    Si nous voulons retrouver le sens de la communauté, alors nous devons investir dans des services qui encouragent l’autonomie et qui facilitent l’interaction. Mais à la place, nous fermons des librairies, les jardins publics, les centres de loisirs parce que cela coute trop cher. Et quand il y a des bénévoles qui prennent le relais, alors nous les bloquons avec les formalités administratives. La solitude s’accompagne aussi de stigmates. On considère une personne seule comme étant asociale, agressive et un peu étrange. Dès que quelqu’un d’étrange s’approche vers nous, nous le regardons avec méfiance parce qu’il n’a pas la même couleur de peau, la même religion ou qu’il ne parle pas comme nous. Comment puis-je rencontrer des personnes ? Et la réponse abêtissante des bien-pensants est de nous conseiller d’aller sur Tinder ou Grindr.

    Quand la solitude est en train de décimer des milliers de personnes parmi les pauvres, les vieux, les handicapés et les migrants.

    Mais oui, pourquoi se plaindre d’être seul alors que nous avons tellement de communautés virtuelles ? Comment peut-on se sentir seul quand on 100 ou 1 000 amis sur Facebook. Mais les réseaux sociaux augmentent la solitude à des taux effarants. Les utilisateurs des réseaux sociaux sont comme des mendiants qui regardent une vitrine remplie de victuailles. Nous pouvons regarder, mais la vitrine est une barrière infranchissable. Et le paradoxe technologique est sanglant. Nous sommes plus connectés que jamais et nous sommes plus seuls que jamais. Seuls des aveugles ne verraient pas une corrélation aussi évidente. Nous avons peur d’être seuls, de ne pas être aimés ou d’être abandonnés. Et nous nous précipitons vers les espaces virtuels, mais cela augmente simplement notre solitude. Est-ce que c’est inévitable pour une partie de la population ? Est-ce que la solitude est un sous-produit nécessaire dans notre société où les loups se mangent entre eux ?

    Mais on peut combattre l’isolement social et la solitude par des politiques assez simples. En fait, toutes les études pointent vers l’antidote de construire une communauté pour lutter contre l’isolement. La communauté doit être au coeur des politiques urbaines et éducatives. Mais c’est quoi, une communauté se demande John McKnight, directeur du Community Studies Program à l’université Northwestern de Chicago. Pour certaines personnes, la communauté est un sentiment, pour d’autres, c’est la relation, pour d’autres, c’est un endroit tandis que certains voient l’institution comme une communauté. La communauté est un endroit où ce sont les gens qui prévalent avant tout le reste. Est-ce que vous avez une communauté qui respecte cette définition dans votre ville ?

    La construction d’une communauté nécessite de l’effort, du temps, de l’argent et comprendre que c’est important. La communauté crée des centres de loisirs, des écoles et des places de prière. Le bénévolat doit fleurir dans une communauté. Cela va du fait d’aider une vieille femme perdue dans la nuit ou à aider un garçon dans un fauteuil roulant. Nous parlons beaucoup d’inclusion, mais nous nous contentons d’installer des accessoires. Des tickets de réduction pour le bus ou des rampes d’accessibilité. Ces accessoires ne résolvent pas le problème. Car dans ces bus, il y a des personnes qui ne descendent jamais à une station et ils se contentent de parcourir la ville parce qu’ils n’ont rien à faire. Si nous voulons des villes humainement riches, alors le sens d’appartenance doit être crucial et non juste une adresse de domicile. Tout le monde doit s’impliquer, notamment pour aider ceux qui sont marginalisés.

    Houssen Moshinaly

    Rédacteur en chef d'Actualité Houssenia Writing. Rédacteur web depuis 2009.

    Blogueur et essayiste, j'ai écrit 9 livres sur différents sujets comme la corruption en science, les singularités technologiques ou encore des fictions. Je propose aujourd'hui des analyses politiques et géopolitiques sur le nouveau monde qui arrive. J'ai une formation de rédaction web et une longue carrière de prolétaire.

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