Comment des scientifiques trop pressés ont fait croire à une invasion de méduses


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  • Quand des scientifiques alertent les médias et le grand public sur une invasion de méduses alors que la plupart de leurs craintes sont infondées. Les scientifiques peuvent aussi être piégés par des citations foireuses.


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    Quand des scientifiques alertent les médias et le grand public sur une invasion de méduses alors que la plupart de leurs craintes sont infondées.

    Kylie Pitt, Griffith University; Carlos Duarte, King Abdullah University of Science and Technology; Cathy Lucas, University of Southampton; Charles Novaes de Santana, University of Zurich; Marina Sanz-Martín, University of Barcelona, and Rob Condon, University of North Carolina Wilmington

    Quand est-ce qu’une invasion de méduses n’est pas (nécessairement) une invasion de méduses ? Lorsque des scientifiques, faute de temps, citent des textes de façon sélective pour faire croire que les océans sont noyés de méduses – même si le fait est loin d’être clair. Pourquoi des scientifiques débordés se préoccupent-ils de population de méduses ? Commençons par le commencement.

    L’identification de modèles et de tendances existant dans la nature se réalise en accumulant les observations pertinentes, publiées dans des rapports scientifiques. Les modèles qui émergent, une fois mis à jour, sont en général décrits dans des articles de revues, ce qui provoque souvent une intense activité de recherche dans le domaine en question. Finalement, on teste lesdits modèles grâce à des « méta-analyses » de textes publiés : ainsi, soit on confirme le modèle et on l’érige en théorie, soit on le réfute.

    Ce cheminement, qui va des observations premières à la théorie, on peut le suivre à travers tout un réseau de citations. Cependant, la science est faite par les humains et la pratique des citations est sujette) à des erreurs dues à des biais et à des inexactitudes. Les citations employées qui sont biaisées dans une direction donnée risquent de conduire à de faux modèles et à une théorie défectueuse.

    Et voilà les méduses

    Dans les années 1990 et 2000, des communications ont commencé à apparaître dans la littérature scientifique, concernant des populations accrues de méduses dans certaines parties des océans du globe. Selon diverses publications, la possibilité de l’éclosion de méduses pourrait avoir globalement augmenté. Au fil du temps, ces textes sont devenus de plus en plus affirmatifs en faveur de l’existence et de l’étendue du phénomène. Au point que des chercheurs se demandaient que faire face à l’état de plus en plus « gélatineux » des océans de la planète.

    Deux méta-analyses ont cherché à savoir si ce boom mondial des méduses était ou non réel et elles aboutirent à des conclusions opposées. Une étude de 2012 avait conclu que les populations de méduses augmentaient globalement car on avait trouvé des preuves de cette surpopulation dans 62 % des grands écosystèmes marins (mais les deux tiers de ces écosystèmes étaient sujets à caution). L’année suivante, une autre étude estima que seules 30 % de ces populations de méduses étaient en augmentation. Elle concluait qu’au cours de plusieurs décennies, les groupes avaient crû et décru/
    Ainsi, la communauté scientifique est toujours divisée quant à l’augmentation globale et durable du nombre de méduses.

    Des citations maltraitées

    Nous avons voulu savoir si la perception d’un accroissement global de la floraison de méduses était due, au moins en partie, à des pratiques médiocres en matière de citations dans la littérature scientifique.
    Notre recherche, publiée dans Global Ecology and Biogeography, indique qu’il s’agit bien de cela.

    Les citations peuvent être défectueuses de plusieurs façons :

    • Certaines citations ne reposent sur rien quand les auteurs se réfèrent à des sources qui ne comportent aucune preuve à l’appui de leur point de vue.
    • Certaines citations sont sélectives : quand un article est cité, elles sont choisies juste pour aller dans le sens de la démonstration alors que, dans le même article, des preuves contraires sont ignorées. Ou alors, les auteurs appellent à la rescousse des articles antérieurs qui ont, depuis, été rejetés.
    • Certaines citations s’avèrent ambiguës quand la phrase de l’auteur contient de multiples expressions, mais quand celles utilisées à l’appui de chaque propos sont regroupées à la fin de la phrase, si bien qu’on ne sait plus quoi est quoi.
    • Certaines citations sont complètement vides quand les auteurs se réfèrent à un article qui lui-même cite un autre article comme preuve renforçant la thèse soutenue, au lieu de la source originale (ce qu’on appelle aussi le « syndrome de l’auteur paresseux »).

    Bien évidemment, nous avons cherché dans la littérature scientifique des articles publiés avant les deux méta-analyses qui se prononçaient sur les mouvements de méduses. Nous avons classé chaque déclaration selon ses affirmations et ce à quoi elle tendait (c’est-à-dire les méduses sont « en augmentation », « peut-être en augmentation », « en diminution » ou « pas de certitude »). Dans le même temps, nous avons étudié ce qu’elle estimait être le périmètre géographique (global, dans de multiples régions ou dans une seule région).

    Nous avons ensuite évalué les articles cités en tant que preuves de l’affirmation en question, pour voir si les citations se vérifiaient, ou si elles relevaient de l’une des catégories de textes biaisés examinés plus haut.

    Une fable suspecte qui nous laisse… médusés !

    Quelle salade (ces articles discordant sur les méduses) ! Mais ça n’empêche pas de les manger. Bình Giang/Wikipédia

    Quelle salade (ces articles discordant sur les méduses) ! Mais ça n’empêche pas de les manger. Bình Giang/Wikipédia

    Sur les 159 articles qui se sont prononcés à propos des mouvements des méduses, 61 % affirmaient qu’ils étaient en croissance numérique (dont 27 % à une échelle globale et 34 % dans des régions multiples) ; alors que 25 % des articles affirmaient que ces populations étaient « peut-être » en augmentation. Seulement 10 % des textes estimaient ces données équivoques. Et un seul affirmait que les populations de méduses diminuaient (mais à une échelle locale).

    Plus inquiétant : seulement 51 % des articles cités apportaient une preuve non ambiguë aux thèses émises par les auteurs. Presque toutes les déclarations à base de citations pas solides étaient celles qui se prononçaient en faveur d’une multiplication des méduses (en dépit du fait qu’il aurait été impossible de parler de tendances globales avant que la première méta-analyse globale ait été publiée en 2012). Et, dans tous les cas, des citations sélectives étaient manipulées afin d’aller dans le sens de cette augmentation quantitative de méduses.

    La pression pour publier dans des revues prestigieuses et recueillir des fonds en faveur de leur recherche peut conduire certains scientifiques à des affirmations surpassant de beaucoup les preuves dont ils disposent. Néanmoins, dans la plupart des cas, les erreurs de citations ne relèvent pas de tentatives manifestes de déformer la vérité. Plus probablement, elles surviennent à cause d’une charge croissante de travail qui réduit le temps disponible nécessaire pour évaluer correctement les articles et se tenir au courant de l’augmentation presque exponentielle du volume de la littérature publiée.

    En tant que scientifiques, nous devons nous assurer que nos affirmations s’appuient toujours sur des preuves irréfutables. Il est clair que, dans le domaine de la littérature, la mauvaise pratique des citations – et, en particulier, des citations sélectives – risque de fausser les perceptions à l’intérieur d’un domaine de recherche.

    The Conversation

    Kylie Pitt, Associate Professor, Griffith University; Carlos Duarte, Adjunct professor, King Abdullah University of Science and Technology; Cathy Lucas, Associate Professor, Marine Biology & Ecology Research Group (MBERG), University of Southampton; Charles Novaes de Santana, Postdoctoral research associate, University of Zurich; Marina Sanz-Martín, PhD Student, Department of Global Change Research, Mediterranean Institute of Advanced Studies, University of Barcelona, and Rob Condon, Assistant Professor in Biological Oceanography, University of North Carolina Wilmington

    This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

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