Le chiffrement quantique débarque


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    L'avènement du chiffrement quantique, mais on est encore loin des applications concrètes.

    Alexei Grinbaum, Commissariat à l’énergie atomique (CEA) – Université Paris-Saclay

    Cet article est publié en collaboration avec le blog Binaire

    La tâche est plus vieille que Le Monde : A (comme Angela) souhaite communiquer un message à B (comme Barack) tout en empêchant E (comme Edward) de l’intercepter. Nous savons faire avec des techniques sophistiquées de chiffrement comme RSA. Mais il paraît que la mécanique quantique va ouvrir de nouvelles possibilités. Nous avons demandé à un ami, Alexei Grinbaum, ce qu’il en est.

    Partager un secret avec une clé secrète

    Le lecteur de Binaire n’aura guère de difficulté à imaginer que le message soit une suite de 0 et 1. La méthode imbattable consiste à utiliser une « clé de chiffrement jetable ». C’est une séquence de 0 et de 1, aléatoire et au moins aussi longue que le message à transmettre. Supposons qu’Angela souhaite transmettre le message « 11111 » à Barack et que la clé aléatoire, tenue secrète, soit « 10110 ». Alors Angela intervertit le premier, le troisième et le quatrième bits du message (comme l’indiquent les 1 dans la clé) et publie en clair « 01001 ». Barack, qui connaît la clé secrète, intervertit les mêmes trois bits et reconstruit le message « 11111 ». Edward n’a aucune chance de rétablir ce message en ayant accès à la seule transmission chiffrée.

    Mais une clé qui se renouvelle sans cesse !

    Un problème est que la clé est « jetable ». Si par aventure Angela l’utilisait plusieurs fois, Edward finirait par la découvrir en faisant des analyses statistiques.

    Ce que l’on aimerait, c’est un monde idéal où Angela et Barack disposeraient d’une source illimitée de clés. Imaginons qu’ils possèdent deux pièces de monnaie, A et B, qui, lorsqu’on les lance, tombent sur pile, qu’on comprendra comme « 0 », ou sur face, le « 1 », de façon aléatoire, mais, par un coup de magie, à chaque fois les deux tombent du même coté. S’ils pouvaient disposer de telles pièces, Angela et Barack pourraient jouer à pile ou face autant de fois qu’ils le souhaitent et se fabriquer sans limites des clés secrètes. Un détail : dans notre monde, à notre échelle, de telles pièces magiques n’existent pas. Alors ? Patience.

    Mieux encore une clé qu’il serait inutile de voler !

    Nous devons aussi garantir qu’Edward ne puisse intercepter le message en se procurant un troisième clone de la même pièce. Attaquons-nous à cette dernière condition. Pour y trouver une solution, nous allons tirer profit d’une valeur que l’on ne rencontre pas souvent dans un problème de sciences : la liberté !

    Supposons qu’Angela et Barack possèdent deux pièces de monnaie magiques, A1 et A2 pour la première, B1 et B2 pour le second. Pour obtenir un bit, Angela choisit librement entre A1 et A2 et lance la pièce. Barack fait de même avec B1 et B2. Ils vont recommencer autant de fois qu’ils le souhaitent. Les quatre pièces sont magiques : à chaque coup, si Angela choisit A1 et Barack B1, les deux pièces disent la même chose ; idem dans les cas (A1, B2) et (A2, B1) ; mais dans le cas (A2, B2), les pièces disent le contraire l’une de l’autre. Bref, le résultat individuel ne dépend que du choix local d’Angela ou Barack, mais la relation entre ces choix dépend de ce que font A et B conjointement.

    Maintenant Angela et Barack peuvent construire une clé secrète. Pour Angela, c’est juste la séquence de bits que lui indiquent les pièces. Pour Barack, il garde le bit que lui donne sa pièce dans trois cas, et il l’intervertit dans le cas (A2,B2). Ce mécanisme garantit que le message ne sera pas intercepté par Edward. Car, même s’il est capable de cloner une pièce d’Angela, il ne connaît pas le choix de Barack. S’il lance un clone de A1 au moment où Angela choisit – toujours librement ! – de jouer A2, alors ce lancement simultané, et de A1 (cloné) et de A2 entrave le libre arbitre de Barack, puisqu’aucune valeur ne peut être attribuée à ses pièces (rappelons que A1=B2, mais A2≠B2, d’où la possibilité de contradiction).

    Oui, mais si tout cela n’existe pas ?

    À notre échelle, de telles pièces magiques n’existent pas. Des corrélations aussi parfaites entre elles sont en réalité inatteignables. Et puis la liberté des agents elle aussi est douteuse. Mais à l’échelle de l’infiniment petit, le chiffrement quantique pallie d’une manière spectaculaire à ces défauts.

    À la place des pièces, le chiffrement quantique utilise des paires de particules quantiques intriquées, souvent des photons. Grâce à un phénomène, l’intrication quantique, on arrive à des corrélations imparfaites, certes, mais proche de plus de 80 % de celles qu’ont les pièces de monnaie dans le monde idéal. En se servant alors de la propriété de non-localité quantique, c’est-à-dire d’un lien simultané entre deux phénomènes distants, séparés dans l’espace, Angela et Barack arrivent à partager des bits avec une corrélation suffisamment forte pour que la communication reste protégée contre les intrusions. En plus, Edward ne peut s’immiscer entre Angela et Barack et intercepter leurs communications à cause d’une propriété de l’intrication quantique dont le nom fort à propos est « monogamie » : à chaque particule, pas plus d’un partenaire intriqué à la fois !

    Plus de 80 %, ce n’est pas idéal. Pourtant on prouve que c’est suffisant pour que les protocoles quantiques de distribution des clés secrètes puissent assurer la protection parfaite de la communication entre Angela et Barack.

    Un enjeu de recherche colossal

    Où en sommes-nous dans la réalisation pratique de ces procédés ? Depuis peu, la sécurité absolue qu’offre le chiffrement quantique est vraiment devenue atteignable. Nous entrons dans une ère où les expériences scientifiques, mais aussi des produits technologiques et industriels, se développent de plus en plus rapidement. L’Europe se prépare à lancer un nouveau financement gigantesque de ce secteur à la hauteur de 1 milliard d’euros. Bientôt, le chiffrement quantique prendra le relais des techniques conventionnelles de cryptage. Signalons qu’au moment où sort ce billet, un nouveau record de distance (plus de 400 km entre les points A et B) vient d’être publié.

    The Conversation

    Alexei Grinbaum, Chercheur au LARSIM (Laboratoire des Recherches sur les Sciences de la Matière), Commissariat à l’énergie atomique (CEA) – Université Paris-Saclay

    This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

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