Le côté obscur des marchés libres


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  • Une analyse sur les marchés libres et ses conséquences sur nos vies quotidiennement. Globalement, les effets négatifs surpassent constamment les rares effets positifs.


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    George A. Akerlof, Georgetown University and Robert J Shiller, Yale University

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    Désormais, il n’est plus rare de croiser aux États-Unis des jeunes de 11 ans souffrants de diabète. Et je comprends parfaitement pourquoi chaque fois que je paye mes achats dans mon supermarché à Washington, D.C. Les barres et autres sucreries sont là, en sortie de caisse – tentatrices – attendant juste d’être croquées.

    Est-ce à dire que la gérante du magasin est mauvaise ou irresponsable ? Non, bien sûr. Mais même si elle a des scrupules, elle doit faire face à un véritable dilemme : car elle doit dégager un bénéfice. Les marges dans les supermarchés sont très serrées. Peu importe sa moralité, elle n’a pas d’autre choix que d’installer ces achats d’impulsions sucrés là où les clients peuvent les voir. En d’autres termes, il existe un équilibre économique dans lequel les entreprises profitent de chaque occasion pour augmenter leurs profits. Dans un tel équilibre, les sucreries sont en sortie de caisse.

    achats d’impulsion Guillaume Flambeau Von Uslar/Flickr, CC BY

    Curieusement, alors que les économistes étudient chaque cas où des gens sont tentés d’acheter des choses qui ne sont pas bonnes pour eux, ils ne parviennent pas à comprendre que cela se produit en raison même d’un principe général de l’économie. Ils n’arrivent pas à saisir que les marchés libres, pour généreux qu’ils soient, ne sont pas seulement là nous donner ce que nous voulons si nous pouvons le payer; ils vont aussi nous inciter à acheter des choses qui sont mauvaises pour nous, quels que soient leurs coûts.

    Les marchés sont trompeurs

    Tout comme les marchés libres peuvent servir l’intérêt général « par une main invisible » (comme Adam Smith l’a dit il y a plus de deux siècles, ce qui est le fondement du champ économique), les marchés libres font autre chose. Tant qu’il y a un profit à faire, ils vont aussi nous tromper, nous manipuler et tirer parti de nos faiblesses, nous poussant à acheter ce qui est mauvais pour nous. Cela aussi est un élément fondamental de l’équilibre du marché, où l’offre et la demande
    se compensent.

    Mes collègues économistes, alors qu’ils reconnaissent un tel comportement dans des cas individuels, ne parviennent pas à le considérer comme un principe général. Et c’est ainsi que des événements nocifs surviennent, par exemple l’appel des sucreries en sortie de caisse. Plus spécifiquement, nous autres économistes aurions dû avertir tous en choeur de l’arrivée du krach financier de 2008. Nous aurions dû montrer que les gens ne devaient pas acheter des titres basés sur des valeurs hypothécaires surcotées, et que les banques ne devaient pas fabriquer des crédits risqués en contrepartie . Au lieu de cela, il n’y eut tout au plus que quelques voix isolées qui protestèrent. Nous aurions dû être plus sceptiques.

    Mais cela ne concerne pas seulement les économistes et ce qu’ils pensent, parce qu’à travers de longues chaînes médiatiques et d’autres canaux (comme celui-ci), ce que nous disons dans nos enceintes professorales influence les politiciens et l’opinion publique en général.

    Cette incapacité à comprendre que les marchés ont des inconvénients se diffuse ensuite dans la politique au sens strict. Le public ne parvient pas à comprendre que, dans l’équilibre économique, s’il y a un profit à faire, quelqu’un va le saisir, tant qu’il est légal et aussi longtemps qu’il y est pas de protestation publique.

    Des conséquences d’être un pigeon

    Notre dernier ouvrage, Phishing for Phools (« Comment hameçonner les pigeons ») décrit comment la logique fondamentale de l’économie, depuis Adam Smith, conduit à cette conclusion. Autrement dit, les marchés ne sont pas des forces inoffensives fonctionnant pour le bien de tous, mais sont remplis d’entreprises qui nous hameçonnent en exploitant nos faiblesses pour nous faire acheter leurs produits. Nous sommes les sujets de ce phishing – les pigeons – quand nous mordons à l’hameçon.

    Princeton University Press

    Nous avons entrepris dans ce livre de prouver que les tentations de prendre de mauvaises décisions affectent significativement notre bien-être. La démonstration en fut étonnamment facile.

    Il y a quatre grands domaines dans nos vies – les dépenses de consommation, l’investissement, la santé et la politique – dans lesquels nous prenons des décisions que personne (après réflexion) ne devrait vouloir prendre. Cependant nous les prenons et le marché libre les rend possibles, tout aussi généreusement qu’il satisfait nos pulsions plus bénignes.

    Premièrement, même aux États-Unis, aussi riches que nous soyons selon tous les standards, la plupart d’entre nous vont se coucher chaque soir inquiets de la façon dont nous allons payer nos factures. Nous sommes continuellement tentés, et avons beaucoup de mal à tenir notre budget. Ainsi, la famille médiane américaine a en moyenne sur son compte bancaire l’équivalent de moins d’un mois de dépenses; la moitié de tous les répondants américains d’un sondage de 2011 a déclaré qu’ils auraient beaucoup de mal à rassembler 2000 dollars dans un délai d’un mois, si une situation d’urgence survenait; et mon estimation approximative suggère que 20% d’entre nous seront en état de faillite à un moment ou à un autre de nos existences.

    Deuxièmement, il y a des booms et des krachs financiers parce que les histoires – ce que nous disons à nous-mêmes et ce que nous disons à l’autre lorsque nous prenons nos décisions – se répandent comme des épidémies. Ces histoires conduisent les individus vers de mauvais investissements, et quand ces investissements tournent mal, la chute de la confiance menace l’ensemble du système financier. Humpty Dumpty fit une grande chute et ce ne fut que très lentement qu’on put le remettre comme avant.

    Troisièmement, en ce qui concerne la santé, le marché nous donne le tabac, qui, selon le Centers for Disease Control est responsable de près de 20% des décès aux États-Unis. L’industrie pharmaceutique nous vend médicaments avec des effets à long terme inconnus, qui sont parfois sévères. Et les géants de l’alimentaire nous servent tant de sucres et graisses que les deux tiers des Américains sont en surpoids, et plus de la moitié d’entre eux obèses. La liste est longue.

    Enfin, le système politique lui-même, dans nos démocraties, ressemble à un système de marché: il existe une concurrence pour les votes. Mais cela présente aussi un « équilibre de phishing ». Pour garder leur emploi, les politiciens doivent prélever l’argent des « intérêts particuliers » et l’utiliser pour des publicités télévisées montrant combien ils sont, au fond, des gens sympas.

    Le coût élevé de la prospérité

    Les marchés libres peuvent conduire à la prospérité, mais ils fournissent également plus que les avantages sans mélange qui leur sont attribués. Le refus de reconnaître leur côté sombre sous-tend la base la pensée fondamentale des économistes et conduit à de mauvais choix politiques. Un point de vue adulte de l’économie, intégrant les inconvénients du capitalisme, est une condition prérequise pour une politique économique saine.

    Si le système économique fonctionne aussi bien ce n’est pas seulement en raison des motivations individuelles, mais aussi parce que toute une série de héros individuels, d’organismes sociaux et de réglementations gouvernementales limitent les inconvénients des marchés qui nous hameçonnent, nous autres pigeons. Ces structures politiques de rééquilibrage filtrent les mauvais sédiments pour ne laisser passer que les vrais avantages de marchés libres.

    Ce point de vue d’un équilibre de phishing remet ainsi en cause la pensée économique actuelle d’une manière nouvelle. On aurait le plus grand intérêt à l’intégrer dans notre vision de l’économie. Tout comme nous aimons nos enfants, nous devons nous aimer les marchés libres; mais comme avec nos enfants, ce serait une erreur de penser qu’ils ne peuvent pas faire de mal.

    The Conversation

    This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

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