La longue route du pèlerinage du Hajj à La Mecque


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    Avec 2 millions de pèlerins pour le Hajj à La Mecque, l’Arabie Saoudite doit se préparer avec la plus grande minutie tout en engrangeant les bénéfices très juteux d’un voyage qui est devenu un circuit touristique au fil des années.

    À partir de la semaine prochaine, les avions qui traversent l’Afrique du Nord devront changer leur itinéraire. Pendant le Hajj, le trafic aérien est complètement perturbé, car plutôt que d’aller vers le nord ou le sud, on a des milliers de vols qui se dirigent vers l’Arabie Saoudite, pays des principales villes saintes de l’Islam. Le Hajj est obligatoire au moins une fois dans la vie d’un musulman s’il en a les moyens. À une époque, le Hajj était parfois un voyage sans retour puisqu’il fallait traverser des milliers de kilomètres à pied. Aujourd’hui, les pèlerins peuvent s’asseoir tranquillement en première classe pour arriver sans aucun effort pour le Hajj. Le pèlerinage commence le 22 septembre et la gestion de 2 millions de pèlerins nécessite une logistique proche de l’héroïsme.

    Ces dernières années, l’Arabie Saoudite limite considérablement l’arrivée des Pèlerins. Le pays a un ministère dédié qui délivre des quotas de visa selon la population musulmane du pays. Et à cause des rénovations à La Mecque, le nombre d’élus est encore réduit pour cette année. Les visas pour La Mecque sont distribués comme des billets de loterie et ils sont évidemment réservés aux musulmans. Et c’est aussi réservé à ceux qui n’ont pas fait le Hajj depuis 5 ans. Les femmes ne peuvent pas obtenir de visa sans être accompagné par un homme et celui-ci n’est pas couvert par la limite des visas. Les plus chanceux peuvent aussi recevoir un voyage tout frais payé par leur gouvernement, mais en général, la majorité devra passer par une agence de voyages approuvée par les autorités saoudiennes. Selon Muhammad Sabry, un gérant de l’hotel moyen de gamme Elaf Ajyad : Cette année, on attend principalement des hôtes provenant de l’Égypte, du Maroc, de la France et du Sénégal. Notons la nuance entre le terme hôte et pèlerin et cela montre la signification du Hajj tel qu’il était à l’origine par rapport à ce qu’il est devenu aujourd’hui. Les agences de voyages se battent pour avoir une certification de l’Arabie Saoudite. Cette certification implique qu’on peut imposer les prix qu’on veut et il n’est pas rare que le circuit complet soit majoré de 3 à 4 fois par rapport à un prix de base. De nombreux pays sont également touchés par des agences d’escroquerie qui promettent monts et merveilles sans aucune garantie. De 2004 à 2010, la France était particulièrement touchée où des pèlerins avaient perdu des milliers d’euros parce qu’ils avaient fait confiance pour obtenir le Ticket d’or du Hajj.

    Pour transporter les pèlerins, on a des centaines de vols supplémentaires. La compagnie Air India va proposer 230 vols de plusieurs villes indiennes jusqu’à Jeddah, le principal point d’arrivée pour le Hajj. À leur arrivée, les pèlerins s’engagent sur une autoroute à 4 voies qui va les mener à La Mecque qui se trouve à 65 km de Jeddah. À La Mecque, ils entrent dans l’état d’Ihram qui signifie pureté. Les hommes doivent porter 2 pièces de tissu blanc tandis que les femmes doivent porter une simple robe doublé d’un voile avec leurs mains et leurs visages qui sont exposés.

    Il est particulièrement difficile de gérer la circulation de 2 millions de personnes entre les différentes étapes du Hajj. Les pèlerins doivent parcourir plusieurs kilomètres entre le Mont Arafat, la Grande mosquée de La Mecque et la Vallée de Mina. Les accidents sont devenus rares depuis qu’une bousculade avait tué 363 personnes en 2006, mais le 11 septembre 2015, un portique de la Grande Mosquée s’est effondré en tuant 107 personnes. Depuis plusieurs années, l’Arabie Saoudite a modifié plusieurs sites ce qui a aussi modifié les rites du pèlerinage. On a des portiques électroniques pour faire entrer les pèlerins et ils peuvent faire les tours rituels autour de la Kaaba sur le sol, mais également sur une plateforme située sur un étage. On n’a plus besoin d’embrasser la pierre noire, mais uniquement de pointer vers elle. Et les pèlerins peuvent engager une autre personne pour faire le sacrifice qui est nécessaire à la fin du Hajj. Pour 2015, on estime qu’on va sacrifier 2,5 millions d’animaux et la plupart sont importés. Pour les puristes de la tradition islamique, ces changements ont totalement bouleversé le Hajj et les plus radicaux estiment même que ce pèlerinage a perdu sa raison d’être.

    L’Arabie Saoudite a déclaré qu’elle va déployer 100 000 membres de la sécurité pour protéger les zones et contrôler la foule. Et cette année est particulièrement critique puisque l’Etat Islamique a déjà frappé 3 mosquées chiites dans l’ouest du pays. Et quand on a des gens du monde entier qui se déplacent dans un endroit confiné, la fatigue, la chaleur, la déshydratation et les infections sont fréquentes. L’Arabie Saoudite fait déjà face au Corona MERS qui a déjà fait de nombreuses victimes. Le gouvernement a construit 25 hôpitaux spéciaux et le Croissant rouge sera présent dans 69 centres médicaux. La logistique devient de plus en plus difficile chaque année. L’Arabie Saoudite continue d’agrandir l’infrastructure. La Grande Mosquée pourra bientôt gérer 1,6 million de pèlerins en même temps. Des étages supplémentaires et près de 21 000 nouvelles toilettes sont prévus. Les femmes se sont souvent plaintes de l’absence de toilettes.

    Mais au fil des années, La Mecque et Médine ont subi des changements tellement considérables qu’on a dû mal à les voir comme des villes saintes. Des hôtels luxueux ont fleuri un peu partout et les marchands vous proposent tous les biens du monde allant des glaces Baskin-Robbins jusqu’aux montres Rollex. Les étals regorgent de pierres précieuses, de bibelots, de vêtements de marque et c’est parfois une surprise de voir autant de monde dans les boutiques que sur le Mont Arafat. La Mecque et Médine devaient être des sanctuaires, mais quand il y a des pèlerins, il y a du profit. L’Arabie Saoudite estime que ces changements sont nécessaires. Mais quand on voit la monstrueuse horloge de la Grande Mosquée de La Mecque, on se demande où est la limite entre le profit et la religion. Le pays a déclaré qu’il dépense sans compter pour assurer la sécurité des pèlerins, mais il oublie de dire qu’il récupère les bénéfices avec tous les intérêts. En 2013 et 2014, l’Arabie Saoudite a dépensé 2 milliards de dollars pour gérer les pèlerins, mais chaque année, ces mêmes pèlerins font rentrer 8,5 milliards de dollars. Mais un vendeur de Corans qui possède une boutique très bien placée à côté de la Grande Mosquée résume ce marchandage du temple en des termes cyniques et réalistes : Les autorités saoudiennes récupèrent un bénéfice de 470 % sur leur investissement et en échange, ils vous proposent un pardon de tous vos péchés. Je pense que c’est un marché honnête. Moussa Mendi, un Sénégalais va accompagner sa mère pour le Hajj. Moussa a déjà fait le Hajj, mais il a obtenu un visa en tant qu’accompagnateur de sa mère. Il a déjà fait le pèlerinage en 2008 et il a déclaré : Pendant la période de Hajj, la prière et la dévotion sont de mise chez tous les pèlerins, mais après le Hajj, la marchandisation atteint tous les sommets puisque les pèlerins veulent en profiter au maximum avant le retour. Pendant cette frénésie d’achat, j’avais dû mal à croire que j’étais toujours à La Mecque ou à Disneyland.

     

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    Estelle Dufresne

    Ancienne journaliste dans plusieurs titres de la presse régionale. Mais comme la presse régionale n'existe plus, je me suis recyclé dans les rubriques internationales de plusieurs sites en ligne.

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