Pourquoi les greffes du visage doivent rester exceptionnelles


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  • Malgré les progrès sur la greffe du visage, le décès d’Isabelle Dinoire doit nous inciter à rester prudent sur ces procédures, car elles doivent être amélioré, notamment sur les traitement anti-rejets, pour qu’on les propose au plus grand nombre.


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    Malgré les progrès sur la greffe du visage, le décès d'Isabelle Dinoire doit nous inciter à rester prudent sur ces procédures, car elles doivent être amélioré, notamment sur les traitement anti-rejets, pour qu'on les propose au plus grand nombre.

    Laurent Lantieri, Université Paris Descartes – USPC

    Le décès de la première personne au monde à avoir reçu une greffe du visage vient d’être rendu public. Isabelle Dinoire, cette Française défigurée par son chien, n’était pas l’une de nos patientes. Mais l’équipe avec laquelle j’ai réalisé sept transplantations de la face à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne) a connu, elle aussi, des décès. Deux, pour être précis.

    Voilà onze ans que ces opérations extrêmement sophistiquées sont pratiquées en France, mais aussi en Chine, en Espagne, aux États-Unis, en Pologne, et en Turquie. À ce jour, on compte 6 morts parmi les 36 personnes greffées officiellement recensées. Pour la communauté scientifique, le moment est venu de s’interroger : faut-il arrêter, ou poursuivre ? Le bilan que nous avons dressé avec nos patients, et publié sur le site de la revue The Lancet le 26 août, est globalement positif. Des personnes défigurées, privées de vie sociale, ont pu sortir de chez elles et, pour certaines, retrouver un travail. Cependant, dans l’enthousiasme suscité par cette technique révolutionnaire, il y a peut-être eu trop de cas opérés. Avec le recul, j’estime que nous devons continuer les greffes du visage, mais les réserver à des cas exceptionnels.

    Les pionniers qui ouvrent un nouveau champ de la médecine ont, plus que les autres, une obligation de transparence quant au destin de leurs patients. Le premier décès survenu dans notre essai est celui de Jean-Philippe, un grand brûlé qui avait reçu le visage et les deux mains d’un donneur. Il avait 37 ans, vivait près de Poitiers. Deux mois après les transplantations, il est mort d’un arrêt cardiaque sur la table d’opération, alors que nous intervenions pour retirer des tissus greffés infectés.

    Un espoir pour les grands brûlés

    Nous avons cru, sur le moment, que la cause du décès de Jean-Philippe était une infection favorisée par les traitements anti-rejet, qui diminuent les défenses immunitaires. Mais les prélèvements de tissus ont montré qu’il s’agissait plutôt d’une réaction de rejet du greffon, particulière aux grands brûlés. On parle d’un rejet humoral, c’est-à-dire que l’organisme a développé des anticorps puissants contre les tissus étrangers, notamment lorsque les brûlures ont nécessité de recourir à de la peau de cadavre.

    La greffe du visage constitue un espoir pour les grands brûlés. Alors nous avons voulu vérifier si le risque de rejet était plus grand chez eux que pour les autres patients. Nous avons mené une étude avec nos collègues de l’hôpital d’instruction des armées de Percy à Clamart (Hauts-de-Seine). Nous avons retenu les cas les plus sévères parmi les brûlés (au-delà de 40 %) et analysé leur taux de sensibilisation, autrement dit le niveau de leurs anticorps contre de potentiels donneurs. Ces taux étaient élevés, au point qu’il serait quasi impossible de trouver un donneur compatible si ces personnes devaient, un jour, recevoir une greffe de n’importe quel organe. L’équipe du Brigham and Women’s Hospital à Boston (États-Unis) a été confrontée à ce phénomène, et contrainte de prescrire à son patient greffé de la face des doses de traitement anti-rejet très élevées. Cela pose question.

    Nous déplorons un second décès dans notre essai, celui de Jean-Luc, 4 ans après sa greffe. Il avait 57 ans, vivait dans le sud de la France et s’est suicidé. Il avait été défiguré lors d’une tentative de suicide par arme à feu. La greffe lui avait permis de parler à nouveau, de manger et de sortir de chez lui. Son élocution était loin d’être parfaite, mais on le comprenait, même au téléphone. L’équipe l’avait d’ailleurs eu au bout du fil deux jours avant son suicide, sans noter de signe de détresse. Quelques jours plus tôt, Jean-Luc était allé se promener au bord de la mer, dans les Calanques, avec son fils. Mais il s’était isolé et connaissait des problèmes financiers, ce qui pourrait expliquer son geste.

    La solidité psychique en question

    Faut-il pour autant exclure d’emblée des candidats à une greffe les personnes qui ont fait une tentative de suicide ? Je ne le pense pas. Il s’agirait d’une forme de discrimination. Ce débat a déjà été tranché dans la greffe du foie, par exemple, qu’il n’est pas question de refuser à une personne au motif de son alcoolisme. Pour moi, la décision de la greffe revient aux psychiatres. Eux seuls sont à même d’évaluer si la personne est assez solide psychiquement pour supporter la lourdeur des traitements anti-rejet et assez volontaire pour renouer avec une vie sociale.

    Dans notre essai, les quatre patients qui étaient bien entourés et n’avaient pas de troubles psychiatriques au départ ont retrouvé leur place dans la société. Ils ont des amis, un travail et ont vu s’améliorer leur qualité de vie – mesurée à l’aide d’un questionnaire. C’est particulièrement frappant pour les deux hommes greffés en raison d’une neurofibromatose, cette affection génétique souvent confondue avec la maladie d’éléphant-man. Ainsi Pascal, notre premier patient, continue à aller de l’avant. Sous l’effet des épisodes de rejet, pourtant, le greffon se décolore par endroits, alors que Pascal est noir. Ces taches plus claires sur son visage ne disparaîtront plus, mais lui fait avec. Il n’a jamais cherché à les camoufler avec du maquillage, il les assume.

    Six des sept patients transplantés à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. Dans l’ordre, leur visage avant l’opération, un an après, et à la date la plus récente. The Lancet/L.Lantieri

    Six des sept patients transplantés à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. Dans l’ordre, leur visage avant l’opération, un an après, et à la date la plus récente. The Lancet/L.Lantieri

    Pour les défigurés, le but d’une greffe du visage est bel et bien de réintégrer la communauté des hommes. Cet objectif n’est pas atteint pour les deux patients qui étaient touchés, avant la transplantation, par des problèmes psychiatriques. L’un souffrait d’un trouble dépressif, l’autre d’une dépendance à l’alcool. Leur qualité de vie est revenue aujourd’hui au niveau d’avant l’opération, voire plus bas. Chez eux, la question du bénéfice de la greffe, comparée aux risques encourus, se pose. D’autant qu’il n’y a pas de plan B. Contrairement à une greffe des mains, qui peut être annulée avec une amputation, celle du visage est irréversible.

    On le supputait, maintenant on le sait : recevoir le visage d’un donneur provoque des effets indésirables majeurs. Nous constatons des atteintes aux reins chez tous nos patients – quatre sont en insuffisance rénale. C’est la conséquence des tri-thérapies, très agressives, administrées pour éviter les rejets. Initialement, nous espérions que les greffés de la face pourraient s’en passer au bout de quelque temps, mais ce n’est pas le cas.

    Un risque de cancer accru

    Que sait-on aujourd’hui du risque de cancer ? Isabelle Dinoire, la patiente transplantée au CHU d’Amiens, est décédée d’une forme rare de tumeur. L’équipe affirme que sa maladie n’a pas de lien avec les médicaments anti-rejet, mais nous attendons la publication scientifique pour en juger. Attention, on croit trop souvent que le traitement immunosuppresseur provoque des cancers ou des infections. C’est faux ! Simplement, en cas d’infection ou de cancer, l’organisme est plus vulnérable car ses défenses immunitaires sont moindres.

    Dans notre essai, nous n’avons pas relevé de cas de cancer, mais le recul n’est pas suffisant pour en tirer des conclusions. Dans les autres greffes d’organe, la survenue de cancer augmente globalement dans des proportions minimes, de l’ordre de quelques %. Le risque de lymphome s’élève plus nettement, mais il s’agit de cancers peu fréquents. Celui des tumeurs de la peau également. Cependant, celles-ci sont faciles à voir, donc enlevées à un stade précoce.

    Continuons les greffes de la face

    Alors le jeu en vaut-il la chandelle, pour les patients ? Autrement dit, faut-il poursuivre les greffes de visage ? Ou bien marquer une pause, le temps de mieux évaluer les risques encourus ? Mon collègue chirurgien Eduardo Rodriguez, de l’université de New York, signe dans le Lancet un article de commentaire édifiant, sous le titre : « transplantation de la face, les connaissances arrivent, les questions restent ». Pour moi, nous arrivons à un tournant. Pour que cette technique soit proposée plus largement, il aurait fallu une révolution dans les traitements anti-rejet, trouver le graal autorisant la tolérance aux tissus étrangers. Or celle-ci ne s’est pas produite.

    La greffe du visage doit continuer, mais être limitée à un tout petit nombre de patients pour lesquels les bénéfices attendus sont supérieurs aux effets indésirables. Il faut sans doute exclure, pour le moment, la plupart grands brûlés, dont les réactions immunitaires peuvent causer un échec de la greffe. Et aussi les personnes dont l’état psychiatrique est instable, rendant leur réintégration sociale trop aléatoire. Sur des critères aussi restrictifs, une à deux personnes au plus seraient concernées chaque année en France.

    Laurent Lantieri, Chirurgien, chirurgie plastique Hôpital européen Georges-Pompidou (APHP), professeur, Université Paris Descartes – USPC

    This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

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