Arrêt du dépistage du cancer du sein : la France va-t-elle sauter le pas ?


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  • La France appelle à une réflexion profonde et une rénovation sur le dépistage du cancer du sein. Le dépistage ne sauverait pas les personnes comme on aimerait le croire. Mais l’idée est tellement ancrée qu’on a une levée de boucliers de part et d’autre.


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    La France appelle à une réflexion profonde et une rénovation sur le dépistage du cancer du sein. Le dépistage ne sauverait pas les personnes comme on aimerait le croire. Mais l'idée est tellement ancrée qu'on a une levée de boucliers de part et d'autres.

    Philippe Nicot, Université de Limoges

    L’annonce de la ministre de la Santé a été aussi discrète que l’enjeu est retentissant. Le programme de dépistage organisé du cancer du sein va faire l’objet d’une « rénovation profonde », a indiqué Marisol Touraine le 3 octobre dans un communiqué, après la remise du rapport du comité d’orientation mettant en doute les bénéfices du dépistage systématique tel qu’il est pratiqué aujourd’hui. Quand ledit rapport a été mis en ligne et que je l’ai parcouru, sur le coup de minuit, j’ai cru avoir rêvé.

    Au bout de plusieurs lectures attentives, je n’ai pu que constater la réalité des faits. Dans une analyse remarquable, ce comité constitué de personnalités dites « qualifiées » constate des carences, des anomalies et des dysfonctionnements dans le dépistage du cancer du sein et la systématisation de la mammographie. Il édicte de nombreuses recommandations, lesquelles

    « devraient améliorer notablement la situation actuelle qui ne répond pas aux exigences d’information, de décision en connaissance de cause, et de validité scientifique recommandées pour proposer un dépistage à des femmes en bonne santé ».

    In fine le comité propose deux scénarios d’arrêt du dépistage organisé. Oui, vous lisez bien, comme moi : « Arrêt du dépistage organisé du cancer du sein ». Scénario 1 : arrêt du programme de dépistage organisé, la pertinence d’une mammographie étant appréciée dans le cadre d’une relation médicale individualisée. Scénario 2 : arrêt du dépistage organisé tel qu’il existe aujourd’hui et mise en place d’un nouveau dépistage organisé, profondément modifié.

    Pour ou contre la mammographie

    Si vous le voulez bien, remontons dans le temps. En 2012, je suis interrogé dans l’émission de radio CQFD diffusée sur la Radio Télévision Suisse romande. Ce jour-là, le thème porte précisément sur ce qu’on qualifie encore de « controverse » : « Pour ou contre la mammographie ». À propos du dépistage organisé du cancer du sein en France, je déclare alors : « C’est une machine extrêmement importante. Du jour au lendemain, aller dire on l’arrête… Je ne l’imagine pas une seule seconde. »

    L’image folle qui me vient, au moment où j’énonce ces mots, est celle de notre ministre de la Santé prononçant l’arrêt de mort du dépistage organisé à l’occasion d’Octobre rose, la campagne annuelle de promotion de ce dispositif. Je vois Marisol Touraine, le visage fermé, s’adresser aux médias : « Mesdames et messieurs les journalistes, je dois vous faire part d’une mauvaise nouvelle. J’ai pris l’avis d’experts indépendants et de citoyennes averties. Leurs conclusions sont sans ambiguïté : notre dépistage organisé du cancer du sein est mauvais ». Elle ajoute même, toujours dans mon imagination : « On désinforme à fond les ballons. On sauve des vies, mais il faudrait une loupe pour les voir, tant elles sont rares. En plus, on crée des malades inutilement. Je ne vois pas comment le dire autrement : on l’arrête ».

    J’ai cru au bénéfice du dépistage

    Pourquoi cette scène quasi prémonitoire me vient en tête, à cette époque ? Médecin généraliste, défenseur d’une information médicale indépendante, je travaillais sur ce sujet depuis un moment déjà. Pendant deux décennies, j’avais cru – comme tant d’autres – au bénéfice de ce dépistage. Puis j’avais analysé les études scientifiques et réalisé, peu à peu, que je m’étais trompé. Entre 2010 et 2011, j’étais membre du groupe de travail chargé d’élaborer la recommandation de la Haute autorité de santé (HAS) sur ce thème. Une aventure qui m’a durablement marqué.

    Initialement, les données mettant en cause le bénéfice du dépistage n’apparaissaient pas dans les documents scientifiques recensés par la HAS. Plus incroyable encore, la Direction générale de la santé avait décrété que cette « controverse » était hors de la saisine de la HAS. Dit autrement « Circulez, y’a rien à voir… » J’avais alors brandi un article tiré d’une revue scientifique, la Revue épidémiologique de santé publique. On y lisait que la « controverse » avait été déclarée officiellement ouverte dès 2003 par le directeur général de la santé en personne, le Pr Lucien Abenhaïm. Celui-ci avait conscience d’une possible inefficacité du programme de dépistage que la France s’apprêtait à lancer à l’échelle nationale. Et il concluait son éditorial ainsi : « La controverse reste donc ouverte, mais avec des données fiables pour en juger ».

    En désaccord avec la recommandation de la HAS

    À l’issue d’une année de participation à ce groupe de travail, l’analyse de milliers de pages de résultats scientifiques, la consultation de différents épidémiologistes, j’ai choisi d’être en désaccord avec la recommandation de la HAS, finalement favorable au dépistage – comme trois autres membres du groupe. Devant motiver ma position, je concluais : « Il n’y a plus de donnée scientifique solide permettant de recommander le dépistage du cancer du sein de manière individuelle ou organisée. En effet, le bénéfice en terme de mortalité est constamment revu à la baisse. Tant le sur-diagnostic que le sur-traitement ont des conséquences néfastes de mieux en mieux connues et importantes ».

    Cinq ans après, il n’y a plus de « controverse ». La ministre de la Santé n’a pas pris la parole devant la presse comme je l’avais imaginé, mais elle a affirmé clairement sa position et ce, en plein Octobre rose. La question se pose donc aujourd’hui de savoir si Marisol Touraine va vraiment franchir le pas. Va-t-on l’entendre dire qu’elle va mettre en œuvre les propositions issues de la concertation ? Autrement dit, arrêter le dépistage systématique ?

    Chiche, Madame la Ministre !

    Que les lecteurs de cette tribune ne prennent pas trop vite les paris. Il faut en effet savoir que l’Institut National du Cancer (Inca) a déjà adressé un courrier à notre ministre, qu’on peut télécharger sur le site de l’Institut. Dans sa première partie, ce courrier minimise et dilue les constats du comité – il ne comporte aucune allusion aux carences et aux dysfonctionnements. Dans la seconde partie, l’Inca propose une soi-disant solution que je qualifierai « d’enfumage » : « rénover » ce dépistage avec les mêmes partenaires qu’auparavant. En somme, les instances qui se sont trompées une première fois s’auto-missionnent pour reproduire… les mêmes erreurs ?

    Aux femmes de décider

    En attendant, que faire ? Avec quelques confrères et professionnels de la santé, nous avons pris conscience ces dernières années que nous ne pourrions pas compter sur nos institutions. Constitués dans un collectif que nous avons baptisé Cancer rose – allusion à Octobre rose –, nous avons réalisé une brochure et une vidéo didactiques pour donner tant aux femmes qu’à leurs médecins l’information nécessaire pour qu’elles décident en connaissance de cause de passer, ou non, une mammographie. Les éléments scientifiques sur lesquels nous nous sommes appuyés sont d’ailleurs présentés dans le rapport rendu à la ministre par le comité d’orientation.

    Je reste cet éternel rêveur en une médecine meilleure, tournée vers les intérêts des citoyens plus que sur vers toute autre considération économique, institutionnelle ou politique. J’espère donc que notre ministre de la Santé aura le courage de dire la réalité sur le dépistage du cancer du sein. Et de prendre les décisions qui s’imposent à la lecture du rapport qu’elle a commandé au comité d’orientation. Quitte à choquer, dans un premier temps… pour regagner ensuite en crédibilité, en se montrant capable de reconnaître les erreurs passées.

    Philippe Nicot, médecin généraliste enseignant, Université de Limoges

    This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

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