Comment une étude sur le Syndrome de fatigue chronique a-t-elle été falsifiée en augmentant la douleur et le stigmate des patients ?


  • FrançaisFrançais

  • L’échec retentissant de l’essai clinique PACE sur le Syndrome de fatigue chronique et la falsification avérée des données par les chercheurs constitue l’une des fraudes médicales les plus graves de ces dernières années.


    Suivez-nous sur notre page Facebook et notre canal Telegram

    L'échec retentissant de l'essai clinique PACE sur le Syndrome de fatigue chronique et la falsification avérée des données par les chercheurs constitue l'une des fraudes médicales les plus graves de ces dernières années.
    Crédit : Jacqueline Tam

    Le public se base sur les scientifiques pour que ces derniers proposent des résultats fiables et robustes, mais ce n’est pas toujours le cas. De plus en plus, les chercheurs annoncent leurs résultats les plus favorables tout en cachant les résultats décevants.1 Ce phénomène, identifié pour la première fois par le psychologue Robert Robert en 1979, est connu comme le problème de l’effet Tiroir.2 Même si l’effet Tiroir est parfaitement connu et on sait qu’il affecte les essais des médicaments, les expériences psychologiques et d’autres domaines, cet effet est peu documenté pour des raisons évidentes.3 4 Les résultats supprimés… sont supprimés et on découvre ces résultats uniquement par chance.

    Et donc, c’était quasiment un événement sans précédent lorsqu’un groupe de patients, à la fin de l’année dernière, a réussi à révéler les résultats moisis d’une étude britannique influente qui a été publiée la première fois dans la revue The Lancet en 2011 sur une maladie très handicapante qu’on connait comme le syndrome de fatigue chronique ou l’encéphalomyélite myalgique (EM/SFC).5

    Mon intérêt pour ce scandale est à la fois personnel et professionnel. En tant que professeur de droit, je passe la majeure partie de ma carrière à l’étude de l’éthique incluant le problème des biais implicites qui peut nuire aux essais cliniques, mais également pendant des procès.6 Et je vis également avec le syndrome de fatigue chronique depuis 10 ans et donc, je suis très attentif aux recherches qui sont faites sur cette maladie et j’attendais une transparence et une fiabilité complète. Malheureusement, l’étude la plus couteuse sur le syndrome de fatigue chronique, connue comme l’essai PACE, était extrêmement défaillante dès le départ et les auteurs refusent toujours d’admettre leurs erreurs.7

    Des croyances “dysfonctionnelles” sont trop réelles pour ceux qui souffrent

    L’histoire commence en 2005 lorsqu’un groupe de psychiatres a proposé une hypothèse pour tester le fait que le syndrome de fatigue chronique était principalement une maladie psychologique. Selon ces psychiatres, l’EM/SFC était caractérisé par des patients qui avaient des “cognitions inutiles” et des “croyances dysfonctionnelles” sur le fait que leurs symptômes étaient provoqués par une maladie biologique.7 8

    En partant de cette hypothèse, les chercheurs ont recruté plus de 600 patients atteints du syndrome de fatigue chronique pour l’essai PACE et ils les ont séparés en 4 catégories. Le premier groupe a été traité avec la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) qui traite les “fausses perceptions” des patients sur leur maladie. Le second groupe a été traité par la thérapie d’exercices graduels (GET) qui consiste en des augmentations supervisées de leurs niveaux d’activité physique. Les 2 groupes restants étaient pour le contrôle qui n’ont reçu aucun traitement.

    Dans un article de 2013 dans la revue Psychological Medicine, l’équipe PACE a annoncé des résultats spectaculaires.9 Cet article prétendait que les deux thérapies, la TCC et la GET, avaient obtenu des taux de récupération (guérison) de 22 % comparés aux 7 ou 8 % de taux de récupération des groupes de contrôle. Les résultats ont été largement relayé dans la presse, mais de nombreux patients étaient sceptiques, notamment ceux qui avaient suivi la thérapie de l’exercice parce que les résultats de l’essai clinique contredisaient totalement ceux qu’ils avaient dans leur vie quotidienne.10 En effet, ces patients avaient des handicaps très sévères, à cause de l’augmentation de l’exercice, ce qui les empêchait d’effectuer de simples mouvements dans la vie de tous les jours.

    Les patients atteints du syndrome de fatigue chronique ont expliqué à maintes reprises que la thérapie de l’exercice exacerbait leurs symptômes.11 Pour de nombreuses personnes, même des exercices modérés provoquaient un effondrement physique qui durait plusieurs jours. Dans ces états extrêmes, ces personnes étaient quasiment immobilisées par la faiblesse musculaire et la douleur aux articulations. Aux États-Unis, ces symptômes aggravés suivant la thérapie ont été reconnus par le CDC, le NIH et l’institut de médecine.12 Mais pour les chercheurs de l’essai PACE, les résultats publiés validaient leurs hypothèses que l’exercice et la thérapie cognitivo-comportementale étaient les meilleures solutions pour lutter contre le syndrome de fatigue chronique.

    Il y avait juste un problème. Une analyse a démontré que les chercheurs de PACE avaient changé les normes pour la moyenne de guérison en affaiblissant l’un des principaux critères à un point où les symptômes du patient pouvaient empirer, mais le patient était quand même considéré comme étant guéri dans le groupe de la thérapie de l’exercice.8 13

    La clé du mystère

    L’analyse indépendante a démontré la manipulation suivante. Au début de l’essai, les patients, qui étaient recrutés, étaient notés sur une note de fonction physique de 65 ou inférieure et la guérison était déterminé par une note de fonction physique de 85 et supérieure. Cette note de 85 indique une personne en bonne santé. Et donc, une personne ayant une note de 65 ou inférieure était considérée comme étant atteinte du syndrome de fatigue chronique.

    Avant que l’essai, qui n’était pas en double aveugle, ait commencé, la définition de la guérison a été baissée à une note de fonction physique de 60.14 Le résultat est que la note de guérison était même inférieure à celle qui a permis de recruter les patients à la base.

    C’était cette manipulation scandaleuse et plusieurs autres qui ont permis aux chercheurs PACE d’annoncer leurs résultats positifs concernant la thérapie GET.15 Les résultats négatifs sous le premier protocole n’ont jamais été publiés comme s’ils étaient restés au fond du tiroir.16

    Quand l’article de Psychological Medicine fut publié en 2013, les patients ont immédiatement compris la supercherie. Et étant donné que l’étude a été financée par des fonds publics, ils ont demandé les données brutes en se basant sur la loi Freedom of Information au Royaume-Uni. Les chercheurs PACE ont refusé de publier les données brutes.

    En octobre 2015, David Tuller de l’université de Californie à Berkeley a publié un long exposé de l’essai PACE en pointant plusieurs résultats très douteux comme la baisse de la note de guérison à 60 et plusieurs autres problèmes.8 Son rapport a attiré l’attention de nombreux scientifiques qui ont publié une lettre ouverte pour demander une analyse indépendante des données brutes.17 Finalement, en été 2016, un tribunal du British Freedom of Information a exigé que l’équipe PACE publie toutes les données brutes. Et ensuite, on a eu une nouvelle analyse.16

    Des taux de guérison très exagérés

    Un groupe de patients et de scientifiques ont réanalysé les données de PACE en suivant le protocole de base (avec la note de fonction physique à 85) et comme prévu, les prétendues “guérisons” que ce soit avec la thérapie TCC ou GET ont totalement disparu. Cette analyse indépendante a été publiée en décembre 2016 dans une revue médicale évaluée par les pairs.18 Le taux de récupération pour la TCC a chuté à 7 % et celui de la thérapie GET s’est effondré à 4 % et ce sont des résultats identiques aux groupes de contrôle. Conclusion ? La thérapie cognitivo-comportementale et la thérapie par l’exercice ont une efficacité de zéro contre le syndrome de fatigue chronique.

    On a également découvert que les chercheurs PACE avaient adopté un vieil adage connu des statisticiens : Si vous torturez les données, elles vont confesser n’importe quoi. Récemment, des chercheurs aux États-Unis et en Australie ont fait des progrès pour identifier des biomarqueurs pour l’EM/SFC qui pourrait déboucher sur une intervention médicale efficace.19 Plus de 100 chercheurs, de cliniciens et d’organisations ont demandé à ce que la revue Psychological Medicine rétracte l’article de PACE, mais la revue reste silencieuse comme une tombe pour le moment.5

    Le pire est qu’encore aujourd’hui et à cause de l’annonce précipitée et malhonnête des chercheurs, la thérapie par exercice est encore prescrite aux patients qui souffrent du syndrome de fatigue chronique. Le résultat que ces patients subissent une douleur intolérable et un effondrement physique. Et les patients qui critiquent l’efficacité de la thérapie GET se voient répondre qu’ils ne font pas suffisamment d’exercices. Il est grave de manipuler les données scientifiques, mais il est impardonnable et criminel de torturer des patients avec des résultats falsifiés.

    Traduction d’un article de The Conversation par Steven Lubet, professeur de droit à la Northwestern University

    Sources

    1.
    Spoiled Science. The Chronicle of Higher Education. http://www.chronicle.com/article/Spoiled-Science/239529. Published March 17, 2017. Accessed March 24, 2017.
    2.
    Rosenthal R. The file drawer problem and tolerance for null results. Psychological Bulletin. 1979;86(3):638-641. doi: 10.1037/0033-2909.86.3.638
    3.
    Reference bias in reports of drug trials. PubMed Central (PMC). https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1257776/. Accessed March 24, 2017.
    4.
    The Filedrawer Problem . PsychFileDrawer.org. http://www.psychfiledrawer.org/TheFiledrawerProblem.php. Accessed March 24, 2017.
    5.
    How bad science misled chronic fatigue syndrome patients. STAT. https://www.statnews.com/2016/09/21/chronic-fatigue-syndrome-pace-trial/. Published September 21, 2016. Accessed March 24, 2017.
    6.
    Lubet S. Investigator bias and the PACE trial. Journal of Health Psychology. March 2017:135910531769732. doi: 10.1177/1359105317697324
    7.
    White P, Goldsmith K, Johnson A, et al. Comparison of adaptive pacing therapy, cognitive behaviour therapy, graded exercise therapy, and specialist medical care for chronic fatigue syndrome (PACE): a randomised trial. The Lancet. 2011;377(9768):823-836. doi: 10.1016/s0140-6736(11)60096-2 [Source]
    8.
    TRIAL BY ERROR: The Troubling Case of the PACE Chronic Fatigue Syndrome Study. virology.ws. http://www.virology.ws/2015/10/21/trial-by-error-i/.
    9.
    White P, Goldsmith K, Johnson A, Chalder T, Sharpe M. Recovery from chronic fatigue syndrome after treatments given in the PACE trial. Psychol Med. 2013;43(10):2227-2235. [PubMed]
    10.
    expert reaction to new research into therapies for Chronic Fatigue Syndrome/ME | Science Media Centre. sciencemediacentre.org. http://www.sciencemediacentre.org/expert-reaction-to-new-research-into-therapies-for-chronic-fatigue-syndromeme/. Accessed March 24, 2017.
    11.
    The Debate Over Chronic Fatigue Syndrome Is Suddenly Shifting. Slate Magazine. http://www.slate.com/articles/health_and_science/medical_examiner/2015/11/chronic_fatigue_pace_trial_is_flawed_should_be_reanalyzed.html. Accessed March 24, 2017.
    12.
    Committee on, Board on, Institute of. Beyond Myalgic Encephalomyelitis/Chronic Fatigue Syndrome: Redefining an Illness. February 2015. [PubMed]
    13.
    Getting It Wrong on Chronic Fatigue Syndrome. nytimes. https://www.nytimes.com/2017/03/18/opinion/sunday/getting-it-wrong-on-chronic-fatigue-syndrome.html?_r=0. Accessed March 24, 2017. [Source]
    14.
    Geraghty KJ. ’PACE-Gate: When clinical trial evidence meets open data access. Journal of Health Psychology. November 2016. doi: 10.1177/1359105316675213
    15.
    PACE: The research that sparked a patient rebellion and challenged medicine. senseaboutscienceusa.org. http://www.senseaboutscienceusa.org/pace-research-sparked-patient-rebellion-challenged-medicine/.
    16.
    Edwards J. Tribunal was right to order release of chronic fatigue trial data. The Conversation. https://theconversation.com/tribunal-was-right-to-order-release-of-chronic-fatigue-trial-data-64255. Published August 26, 2016. Accessed March 24, 2017.
    17.
    Open letter to Queen Mary University of London about PACE. virology.ws. http://www.virology.ws/2016/09/06/open-letter-to-queen-mary-university-london-about-pace/. Published September 6, 2016. Accessed March 24, 2017.
    18.
    Wilshire C, Kindlon T, Matthees A, McGrath S. Can patients with chronic fatigue syndrome really recover after graded exercise or cognitive behavioural therapy? A critical commentary and preliminary re-analysis of the PACE trial. Fatigue: Biomedicine, Health & Behavior. 2016;5(1):43-56. doi: 10.1080/21641846.2017.1259724
    19.
    Major Breakthrough in Chronic Fatigue Syndrome (ME/CFS)? Aussies Believe Biomarker Found – Health Rising. Health Rising. https://www.healthrising.org/blog/2017/02/28/biomarker-aussies-chronic-fatigue-syndrome/. Published February 28, 2017. Accessed March 24, 2017.

    Houssen Moshinaly

    Rédacteur en chef d'Actualité Houssenia Writing. Rédacteur web depuis 2009.

    Blogueur et essayiste, j'ai écrit 9 livres sur différents sujets comme la corruption en science, les singularités technologiques ou encore des fictions. Je propose aujourd'hui des analyses politiques et géopolitiques sur le nouveau monde qui arrive. J'ai une formation de rédaction web et une longue carrière de prolétaire.

    Pour me contacter personnellement :

    Laisser un commentaire

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *