Comment un génie a-t-il inspiré un mathématicien à trouver sa voie


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  • Le mathématicien Ken Ono estime que l’histoire de Srinivasa Ramanujan, un mathématicien de génie très en avance sur son temps, nous apprend des leçons sur la manière de trouver et récompenser les génies.

     


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    Le mathématicien Ken Ono estime que l'histoire de Srinivasa Ramanujan, un mathématicien de génie très en avance sur son temps, nous apprend des leçons sur la manière de trouver et récompenser les génies.
    Ken Ono

    Traduction d’un article de Quanta Magazine.

    Dans les 27 premières années de sa vie, le mathématicien Ken Ono était dans la tourmente. Un échec et une déception. En tout, c’est comme ça qu’il le voyait. Étant le plus jeune fils de la première génération de Japonais migrants aux États-Unis, Ono a grandi sous la pression constante d’accomplir un succès académique. Ces parents avaient mis la barre très haute. Le père d’Ono, un éminent mathématicien qui avait accepté l’invitation de J. Robert Oppenheimer à rejoindre l’Institute for Advanced Study à Princeton, espérait que son fils allait suivre ses traces. La mère d’Ono faisait partie des parents qu’on appelle les tigresses. Décourageant son fils de toutes choses qui n’étaient pas liés à un accomplissement universitaire.

    Ce chaudron intellectuel a produit les résultats désirés. Ono a étudié les mathématiques et il s’est lancé dans une carrière prometteuse, mais le cout émotionnel était élevé. En tant qu’adolescent, Ono est devenu tellement désespéré qu’il avait abandonné l’école secondaire. Il a été ensuite admis à l’université de Chicago, mais il avait une attitude apathique envers ses études préférant faire la fête avec ses confrères de la fraternité. Il a éventuellement découvert un intérêt pour les mathématiques, est devenu un professeur et a fondé une famille, mais la peur de l’échec était si lourde qu’Ono a tenté de se suicider pendant une conférence universitaire. C’est lorsqu’Ono a rejoint l’Institute for Advanced Study qu’il a commencé à trouver la paix.

    Par-dessus tout, Ono a trouvé de l’inspiration dans l’histoire de Srinivasa Ramanujan, un prodige des mathématiques, né dans la pauvreté à la fin du 19e siècle dans l’Inde colonisée. Ramanujan a reçu très peu d’éducation, mais il a produit des milliers de résultats mathématiques tels que la fonction thêta Ramanujan qui possède des applications dans la théorie des cordes et cette fonction est encore très étudiée dans les milieux académiques. Mais en dépit de son génie, le succès de Ramanujan a été très difficile. Il n’a pas été accepté par les mathématiciens occidentaux et il a quitté l’université 2 fois avant de mourir d’une maladie à 32 ans.

    Ono, âgé de 48 ans, ne se compare pas à Ramanujan, mais il a construit sa carrière selon la vision de Ramanujan. En 2014, Ono et ses collaborateurs Michael Griffin et Ole Warnaar ont publié un résultat révolutionnaire dans la théorie des nombres algébriques qui se basait sur un résultat de Ramanujan. Le travail d’Ono, qui se basait sur une paire d’équations appelée les identités Rogers-Ramanujan, peut être utilisé pour produire facilement des nombres algébriques tels que Phi qu’on connait comme le nombre d’or.

    Récemment, Ono a servi de producteur adjoint et consultant en mathématique pour The Man Who Knew Infinity, un film qui raconte la vie de Ramanujan. Et son nouveau mémoire, My Search for Ramanujan : How I Learned to Count, co-écrit avec Amir D. Aczel, propose des connexions entre la vie de Ramanujan et le propre chemin d’Ono dans l’accomplissement mathématique et émotionnel. J’ai écrit ce livre pour montrer mes faiblesses et mes difficultés. Personne ne réussit dès le premier jour.

    Srinivasa Ramanujan, un prodige des mathématiques

    Srinivasa Ramanujan, un prodige des mathématiques

    Comme Ramanujan, qui a bénéficié du mentorat du mathématicien britannique G.H. Hardy pendant des années, Ono attribue son succès à ses nombreuses rencontres avec des professeurs qui ont permis de développer son talent. Il passe aujourd’hui une grande partie de son temps à parrainer ses étudiants à l’université Emory. Ono a aussi lancé the Spirit of Ramanujan Math Talent Initiative, un projet qui veut découvrir des mathématiciens de talent dans le monde entier pour qu’ils bénéficient des meilleures opportunités dans le secteur. Quanta Magazine propose une interview avec Ono sur son inspiration de Ramanujan.

     

    Quanta Magazine : Qu’est-ce qui était si spécial avec l’approche de Ramanujan dans les mathématiques ?

    Ken Ono : En premier lieu, il était un poète et non quelqu’un qui résout des problèmes. La plupart des mathématiciens qu’ils soient dans l’industrie ou dans une université ont des problèmes qu’ils doivent résoudre. Quelqu’un veut résoudre l’hypothèse de Riemann et il va tout faire pour y arriver. Nous pensons que la science doit progresser de cette manière et tous les scientifiques adoptent cette approche, car la science se développe avec le travail de milliers de scientifiques qui apportent leur pierre à l’édifice.

    Mais dans les notes de Ramanujan, vous trouvez une formule après l’autre et il ignorait de ce qu’il allait faire avec ses idées. C’était quelqu’un qui posait les bases d’une théorie importante sans même savoir que ces bases seraient fondamentales pour les mathématiciens dans le futur.

    Quanta Magazine : On lui attribue la compilation de milliers d’identités. Une identité est des équations qui sont vraies indépendamment de la valeur de leurs variables. Pourquoi est-ce important ?

    Ken Ono : Il est vrai que la plupart de ses notes se réfèrent à des identités. Les identités concernent des fractions continues liées à d’autres fonctions telles que les expressions pour les entiers, les expressions pour les fonctions hypergéométriques et les expressions pour des objets qu’on appelle des Q-Series. Mais ce serait une interprétation littérale de ses notes. Selon moi, c’est comme si on lisait un livre d’un chef cuisinier et qu’on disait que cela concerne le mélange de composants chimiques pour faire quelque chose de plus complexe. Littéralement, c’est vrai, mais on manquerait l’aspect fondamental de la raison pour laquelle ces recettes sont délicieuses.

    Les travaux de Ramanujan ressemblent à des nuées de fantaisies. Si on lui demandait aujourd’hui la raison de son travail, alors il dirait qu’il écrivait des formules qu’il trouvait belles et elles étaient belles parce qu’elles révélaient un phénomène imprévu. Et c’est important pour nous parce que ces phénomènes identifiés par Ramanujan sont devenus des prototypes de la plupart des théories mathématiques majeures au 20e et au 21e siècle.

    Un exemple. Dans un de ses manuscrits, Ramanujan a écrit beaucoup de résultats, qui semblent élémentaires, sur ce qu’on appelle des congruences. En 1960, Jean-Pierre Serre, médaillé de Fields, a étudié ces résultats de Ramanujan et il y a trouvé des indices d’une théorie qu’il a appelée la théorie des représentations galoisiennes. Et cette théorie des représentations de Galois est le langage qu’Andrew Wiles a utilisé dans les années 1990 pour prouver le dernier théorème de Fermat. Il n’y a pas de théorie de Ramanujan, mais il a anticipé des structures mathématiques qui seraient importantes pour la plupart des travaux importants en mathématique à notre époque. Et il a vécu 80 ans auparavant.

    Quanta Magazine : Est-ce que votre travail est celui d’un artiste comme Ramanujan ou vous résolvez des problèmes précis comme un scientifique ?

    Ken Ono : Je suis définitivement un scientifique. La science progresse bien plus vite qu’à l’époque où j’ai commencé ma carrière en 1990. Mais je dois souvent m’arrêter pour reconnaitre sa beauté et de ne pas tomber dans le coté purement professionnel de la science. L’attribution des subventions, les publications, toutes ces choses, franchement, je ne les aime pas.

    Quanta Magazine : Pourquoi avoir superposé l’histoire de Ramanujan avec la vôtre ?

    Ken Ono : Je ne le voulais pas, mais il y a beaucoup de choses personnelles dont je n’ai jamais parlé à personne. Mais quand j’ai commencé à écrire mon livre, mais aussi grâce à mon expérience de parent, j’ai commencé à comprendre les circonstances qui ont mené mes parents à être aussi exigeants. Et comme professeur à Emory, je vois tous ces jeunes qui sont sous une pression intense et une pression dont ils ne comprennent pas l’origine.

    Ce qui fait que tous ces jeunes très talentueux suivent simplement le mouvement et ils ne sont pas du passionné par leurs études et c’est terrible. J’étais comme eux. Je me consacrais entièrement pour satisfaire les espoirs de mes parents, mais Ramanujan m’a servi comme un ange gardien et les choses se sont améliorées pour moi. Vous devenez un bon professeur lorsque vous dites à vos élèves que votre parcours a été aussi difficile que le leur.

    Quanta Magazine : Ce livre et votre histoire ne racontent pas le parcours d’un “grand homme de la science”.

    Ken Ono :  Je pense que c’est beaucoup plus fréquent qu’on le pense. Je n’ai pas découvert ma passion des mathématiques avant 20 ans. Mon conseiller en doctorat, Basil Gordon, m’a guidé alors que je ne trouvais aucune beauté dans les mathématiques. Je pensais qu’il s’agissait juste de tester des points, des niveaux et faire le meilleur possible avec le minimum d’efforts. Les universités sont remplies de jeunes qui pensent de cette manière. Comment vous allez battre le système, c’est tout ce qui compte pour eux. Je ne battais pas le système, car c’est lui qui m’écrasait et Gordon m’a aidé dans ces moments. Quand je raconte mon histoire, je découvre que je suis loin d’être seul.

    Et c’est ce que je vois dans Ramanujan. Il avait abandonné l’université à 2 reprises et mon père le considérait comme un héros alors que j’avais 16 ans, car moi aussi, je devais devenir un enfant prodige. Pendant l’été, je devais résoudre des problèmes géométriques pendant qu’il faisait sa recherche. Je n’avais pas le droit de sortir et de jouer et je devais écouter le talent exceptionnel de Ramanujan.

     
    Quanta Magazine : Si vous étiez intéressé par quelque chose de plus artistique comme la musique, on pourrait comprendre vos difficultés vers le succès. Mais c’est surprenant de voir les mêmes difficultés chez les mathématiciens.

    Ken Ono : J’en ignore la raison, mais nous vivons dans une culture où nous pensons que les capacités de nos meilleurs scientifiques ou mathématiciens sont des dons de naissance. Soit, vous l’avez, soit vous ne l’avez pas et ce n’est pas lié à l’aide, à un travail dur ou à la chance. C’est l’une des raisons pour lesquelles lorsque nous parlons de mathématiques à un public, la réponse immédiate sera : Je n’ai jamais été bon en math. Et donc, je ne suis pas supposé le comprendre. Mon père a pu me passer une partie de son talent via ses gènes, mais ce n’est jamais suffisant. Vous devez être passionné par votre sujet.

    Dans le même temps, je veux qu’on sache qu’il n’y a rien de mal à échouer. En fait, vous apprenez de vos erreurs. Vous voulez être bon dans le violon, alors pratiquez. Vous voulez devenir un bon sportif, alors pratiquez. Mais pour des raisons insensées, notre culture suppose que si vous êtes bon en math, alors vous êtes né avec ce don et c’est tout. Mais vous pouvez être bon en math de différentes manières. J’ai échoué à mon examen d’algèbre à l’école secondaire ! Cela ne signifie pas que je ne peux pas devenir un bon mathématicien. Quand je dis aux gens que j’ai échoué à cet examen, personne ne me croit.

    Quanta Magazine : Mais Ramanujan semble être exactement un génie qui est apparu de nulle part. Comment peut-il inspirer une personne avec une vie normale ?

    Ken Ono : Vous pensez que personne ne peut être comme Ramanujan et je ne suis pas d’accord. Je pense qu’on peut trouver des personnes talentueuses en mathématique dans le monde et non en regardant simplement des points sur une feuille de papier. Je veux que les professeurs et les parents reconnaissent quelqu’un qui possède un talent inhabituel au lieu de regarder des tableaux d’évaluation. Et une fois qu’on les a trouvés, il faut trouver un moyen de les aider à exploiter leur potentiel. L’humanité en a besoin et c’est ce que nous pouvons apprendre de Ramanujan.

    Quanta Magazine : Vous dirigez la Spirit of Ramanujan Math Talent Initiative. Quel est cet esprit ? Et comment la reconnaitre ?

    Ken Ono : C’est d’abord l’idée que le talent peut se trouver dans les endroits les plus inadaptés et des circonstances extrêmes. C’est la responsabilité des professeurs et des parents de reconnaitre ce talent et ce n’est pas toujours facile. Et ensuite, on doit leur donner des opportunités pour s’exprimer.

    Il n’y a pas d’âge limite et je ne veux pas que ce soit une compétition où vous êtes reconnu pour vos notes élevées. Je n’ai aucun problème à trouver des gens qui atteignent un score de 800 dans un SAT en mathématique (un SAT est un examen pour l’admission dans les universités américaines). C’est facile et on n’a pas besoin de chercher des gens. C’est la créativité que je cherche.

    Mais l’esprit de Ramanujan n’implique pas de trouver le prochain Ramanujan. On aurait beaucoup de chance d’y arriver, mais si nous pouvons donner des opportunités à 30 personnes dans le monde qui vivent dans un désert intellectuel ou dans un système éducatif rigide où ils ne peuvent pas s’épanouir, alors nous pouvons leur donner un équivalent de G.H. Hardy.

    Quanta Magazine : Est-ce que vous auriez souhaité une enfance différente ? Est-ce que vous en voulez à vos parents ?

    Ken Ono : J’aime les parents. Je leur ai montré le brouillon du livre. Ils ont été d’abord énervés par les 30 premières pages. Mais maintenant, ils l’apprécient. Notre évaluateur voit le livre comme une lettre d’amour à mes parents parce qu’ils m’ont appris toutes les choses dont j’ai eu besoin.

    Quanta Magazine : Si vous n’aviez pas rejoint l’Institute for Advanced Study, est-ce que vous seriez encore en train de réconcilier votre carrière avec les espérances de vos parents ?

    Ken Ono :  Je pense que je chercherais encore cette reconnaissance si je n’avais pas atterri dans cet institut. Mes parents vous diront que vous ne vivez qu’une fois et vous devez être le meilleur dans tout ce que vous entreprenez. Même si je ne suis pas totalement d’accord avec ça, parce que si c’était le cas, alors on n’aurait pas autant de personnes malheureuses dans le monde. Mais ils m’ont élevé de cette manière. Ils m’ont appris à être compétitif. Ils m’ont appris à ne pas croire que j’avais réussi alors que ce n’était pas le cas. Ils m’ont appris des normes et elles sont importantes. Mais si je n’étais pas à cet institut, alors je n’aurais pas pu écrire ce livre et je serais toujours confronté à ces problèmes.

     

    Houssen Moshinaly

    Rédacteur en chef d'Actualité Houssenia Writing. Rédacteur web depuis 2009.

    Blogueur et essayiste, j'ai écrit 9 livres sur différents sujets comme la corruption en science, les singularités technologiques ou encore des fictions. Je propose aujourd'hui des analyses politiques et géopolitiques sur le nouveau monde qui arrive. J'ai une formation de rédaction web et une longue carrière de prolétaire.

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