L’image d’un trou noir, la plus sombre des ombres


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  • On l’avait calculé, simulé, entendu ses vibrations. Mais cette fois, on a l’image d’un trou noir en chair et en os.


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    La première image d'un trou noir - Crédit : Event Horizon Telescope
    La première image d'un trou noir - Crédit : Event Horizon Telescope

    Première possibilité, quelqu’un a photographié un beignet à moitié cuit avec un focus pourri. Soit, quelqu’un a lancé Photoshop, dessiné un cercle et lui a appliqué un effet de flou. Soit, en 1915, un moustachu nommé Albert Einstein propose une nouvelle description de la gravitation. Une description qui considère que la gravitation n’est pas une force, mais un effet de courbure de l’espace-temps. Et vous avez un tango cosmique où les objets déforment l’univers et l’univers se dessine autour de ces courbures.

    À la recherche de l’image d’un trou noir

    Après la publication de la théorie de la relativité générale, un autre moustachu, appelé Karl Schwarzschild, va proposer une première solution aux équations d’Einstein. Elle postulera qu’à partir d’un certain point de la masse d’un objet, la gravité de cet objet serait si forte que rien ne pouvait y échapper, incluant la lumière.

    La première image d'un trou noir - Crédit : Event Horizon Telescope

    La première image d’un trou noir – Crédit : Event Horizon Telescope

    Le premier moustachu ne croira pas à cette description. Et pour cause, pendant des années, la solution de Schwarzschild va rester une curiosité mathématique. À cette époque, on pensait que l’univers était quelque chose de simple. On avait des étoiles, des planètes, des comètes. Mais on ignorait toute la faune et flore diversifiée du cosmos.

    Une étoile atteignant une masse critique

    En 1939, alors que la mode des moustaches perdait de la vitesse, J. Robert Oppenheimer et ses collègues vont découvrir que le point de Schwarzschild n’est pas un simple objet mathématique. Leurs travaux vont démontrer qu’une étoile pourrait atteindre le rayon de Schwarzschild. Mais cela reste de la théorie et il faudra atteindre 1967 pour que Jocelyn Bell Burnell découvre une foule exotique de corps céleste avec les étoiles à neutron, les pulsars et des étoiles très denses.

    Dans les années qui vont suivre, les preuves vont s’accumuler de plus en plus. Non seulement, on découvrira que les trous noirs sont une réalité, mais qu’il y en a différents types. Théoriquement, vous avez 4 types de trou noir, stellaire, galactique, micro et univers. On en connait deux pour le moment. Le trou noir stellaire où une grande étoile, une fois qu’elle a consommé tout son carburant, va commencer à s’effondrer sur elle-même pour atteindre point de Schwarzschild et devenir un trou noir.

    Le trou noir supermassif

    Vous avez également le trou noir galactique qu’on appelle trou noir supermassif. On a une gigantesque quantité de poussière et de gaz qui vont s’accumuler au centre d’une galaxie pour former un gigantesque trou noir. Et c’est celui qu’on a photographié. Même si on connait l’existence des étoiles très massives depuis les années 1960, il faudra attendre 2015 pour entendre un trou noir. Ou plutôt, en fait, deux trous noirs qui ne connaissaient pas le code routier de la route cosmique et qui se sont percutés pour former un trou noir encore plus gros.

    La vibration d’un accident routier cosmique

    Cet accident routier fut cataclysmique. Les deux chauffards se sont tournés autour, comme 2 coqs, pendant des millions d’années, avec une vitesse de 20 % de celle de la lumière. Imaginez un accident de la route tellement puissant qu’il ferait vibrer la route elle-même. C’est ce qui nous a donné les ondes gravitationnelles détectées en 2015. Donc, les preuves s’accumulaient. On voyait des étoiles qui tournaient autour de point invisible.

    Mais on veut le voir pour le croire. Depuis une décennie et avec l’avènement des radio-télescopes, on a lancé cette idée folle qu’on pouvait voir un trou noir. Mais comment faire ? Le trou noir est certes très dense, mais il est minuscule et pire encore, il n’émet aucune lumière. Ce n’est pas comme chercher une aiguille dans une botte de foin, car l’aiguille, on la voit. Ici, avoir l’image d’un trou noir implique de chercher une fourmi noire qui est posée sur une roche noire par une nuit sans lune.

    M87 et Sagittaire A*

    Déjà, dans quelle direction doit-on chercher ? Après moult recherches, on a trouvé ceux cibles. Sagittaire A* (prononcé Sagittaire A Star) et Messier 87 (M87). Sagittaire A* pèse 4 millions de masses solaires et il est situé à environ 25 000 années-lumières. C’est une cible intéressante. Mais impossible à voir avec un seul radiotélescope. Car comme on ne peut pas voir un trou noir, par définition, on doit utiliser le signal radio. Et même avec ça, vous n’avez pas l’image d’un trou noir.

    La Dre Katie Bouman, l'informaticienne qui a développé l'algorithme qui a permis de créer la première image d'un trou noir.

    La Dre Katie Bouman, l’informaticienne qui a développé l’algorithme qui a permis de créer la première image d’un trou noir.

    Vous avez l’ombre d’un trou noir. Comme le trou noir est quelque chose de vorace, il va consommer énormément de matière. Ce processus crée un disque flamboyant de matières et de rayonnements. Et comme le trou déforme la lumière et ne laisse rien sortir, on aura une sorte d’ombre où se trouve le trou noir. C’est à dire ce que ce truc est tellement contre-intuitif que c’est comme si on vous disait de chercher notre fourmi noire. Mais que la seule manière de la voir est de regarder son ombre. Ce n’est pas clair ? C’est fait pour !

    L’Event Horizon Telescope pour avoir l’image d’un trou noir

    Comme un seul instrument ne peut pas voir un trou noir, car il est trop loin et trop petit. Alors, il faut un télescope qui fait la taille de la terre. C’est l’objectif de l’Event Horizon Telescope (EHT). Il consiste à combiner 8 radiotélescopes pour avoir un seul point focal.

    Le projet a été lancé dès 2016, mais il a fallu attendre le mois d’avril 2017, avec 5 nuits d’observation consécutives pour avoir cette image d’un trou noir. En 2018, les conditions météorologiques étaient trop mauvaises pour améliorer les observations et il y avait aussi des radiotélescopes qui n’ont pas rejoint la fiesta cosmique de voyeurisme.

    Sur 4 nuits d'observation différentes. Dans chaque cadre, le cercle blanc indique la résolution de l'EHT. Les quatre images sont dominées par un anneau lumineux à émission améliorée au sud - Crédit : Extrait d'un des papiers (le 4e) sur la découverte (Figure 15)

    Sur 4 nuits d’observation différentes. Dans chaque cadre, le cercle blanc indique la résolution de l’EHT. Les quatre images sont dominées par un anneau lumineux à émission améliorée au sud – Crédit : Extrait d’un des papiers (le 4e) sur la découverte (Figure 15)

    Et l’image d’un trou noir que nous avons est celui de M87. Messier 87 est un monstre cosmique absolu. Ce trou noir supermassif pèse 6,3 milliards de masses solaires, situé à 53 millions d’années-lumières. Donc, c’est beaucoup loin, mais comme le trou noir est beaucoup plus massif, on peut le voir plus facilement. Mais est-ce qu’on a vu l’image d’un trou noir ou même son ombre ? Est-ce qu’un radiotélescope peut donner une image ? Quand vous écoutez l’autoradio et que vous activez l’équalizer, vous avez une animation qui est le reflet de la musique. C’est la même chose ici, mais en bien plus précis.

    Pas besoin d’yeux quand on a la physique

    Depuis des années qu’on attendait de voir l’image d’un trou noir, on ignorait qu’on avait quelque chose de très similaire dès 1979. À cette époque, Jean-Pierre Luminet, astrophysicien et spécialiste des trous noirs va publier une image, résultat d’une simulation informatique. Et 40 ans plus tard, la vraie image d’un trou noir possède toutes les caractéristiques de la simulation de Luminet. Quand vous avez les équations, vous n’avez pas besoin d’yeux pour le croire.

    La simulation d'un trou noir, publiée par Jean-Pierre Luminet en 1979.

    La simulation d’un trou noir, publiée par Jean-Pierre Luminet en 1979.

    L’exploit de Luminet était d’autant plus remarquable. Car à l’époque, l’existence des trous noirs était à peine acceptée. Comme quoi, il faut parfois plusieurs décennies pour prouver qu’on avait raison. Mais au-delà de l’image, la question persiste. Est-ce que les équations du moustachu Einstein avaient raison ? Et bien oui, les prédictions montraient que l’ombre du trou noir devait être circulaire à hauteur de 10 %. La vraie image d’un trou noir nous montre un machin quasiment circulaire.

    L’ombre du trou noir après l’éclipse solaire de 1919

    Le 29 mai 1919 est une date qui ne doit pas être familière à vos yeux. Mais en ce jour, une éclipse solaire totale a eu dans la région de l’Afrique et de l’Amérique latine. Elle a duré 6 minutes, ce qui est assez conséquent. Mais c’est le 29 mai 1919 que deux expéditions, la première en Afrique par Frank Watson Dyson et Arthur Eddington et la seconde en Amérique latine, par Andrew Claude de la Cherois Crommelin, ont regardé cette éclipse pour vérifier la relativité générale.

    Des étoiles à l’arrière de notre soleil, visibles pendant l’éclipse, avaient une position légèrement différente. Cela prouvait que la masse déformait bien l’espace-temps. A un mois près, 100 ans plus tard, l’Event Horizon Telescope nous montre une vraie image d’un trou noir. Et cette fois, le monde entier n’a pas manqué ce rendez-vous. Mais peut-être que c’est les versions d’une image photoshopée ou d’un beignet mal photographié qui sont vraies…

    Houssen Moshinaly

    Rédacteur en chef d'Actualité Houssenia Writing. Rédacteur web depuis 2009.

    Blogueur et essayiste, j'ai écrit 9 livres sur différents sujets comme la corruption en science, les singularités technologiques ou encore des fictions. Je propose aujourd'hui des analyses politiques et géopolitiques sur le nouveau monde qui arrive. J'ai une formation de rédaction web et une longue carrière de prolétaire.

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