Ondes gravitationnelles, controverse scientifique et temps médiatique


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  • Quand vous prétendez que le LIGO a fait une erreur et qu’il n’a pas détecté des ondes gravitationnelles, alors vous avez intérêt à bétonner votre argument. La publication et la médiatisation d’un papier sur arXiv montre la différence entre la controverse scientifique et le temps médiatique.


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    Quand vous prétendez que le LIGO a fait une erreur et qu'il n'a pas détecté des ondes gravitationnelles, alors vous avez intérêt à bétonner votre argument. La publication et la médiatisation d'un papier sur arXiv montre la différence entre la controverse scientifique et le temps médiatique.

    Le 13 juin 2017, des chercheurs du Niels Bohr Institute au Danemark ont publié un papier sur arXiv intitulé On the time lags of the LIGO signals par James Creswell, Sebastian von Hausegger, Andrew D. Jackson, Hao Liu et Pavel Naselsky.1 Ce papier fait suite à la publication des données par le LIGO sur les ondes gravitationnelles.2 5 jours plus tard, Ian Harry, un chercheur de l’institut Max Planck a publié un article qui démonte point par point le papier danois.3 La controverse scientifique est que l’équipe danoise estime que le LIGO a fait des erreurs dans l’analyse des données des détecteurs et qu’ils ont confondu les corrélations provenant du “bruit” avec un vrai signal.

    La controverse scientifique des ondes gravitationnelles

    Les ondes gravitationnelles sont très difficiles à détecter. Et pour les détecter, le LIGO a été conçu pour mesurer un changement dans la distance équivalente à un dix millième de la largeur d’un proton. Il y a de nombreuses vibrations et de “sauts” qui peuvent imiter une onde gravitationnelle. De ce fait, le LIGO a utilisé 2 observatoires, séparés par 3 000 kilomètres, qui fonctionnent en synchronisation avec chaque détecteur qui fait un double contrôle sur leurs observations respectives. Le bruit dans chaque détecteur ne doit avoir aucune corrélation, par exemple, le bruit d’un marteau-piqueur dans une ville voisine du premier détecteur ne doit pas apparaitre dans les signaux du second détecteur. Mais si une onde gravitationnelle traverse les détecteurs, alors elle doit créer un signal similaire dans les deux instruments quasi simultanément.

    Le principal argument de l’équipe de Jackson est qu’ils ont trouvé des “bruits” corrélés dans les détecteurs au moment du passage de l’onde gravitationnelle. Dans le pire des cas, cela signifie que ce n’était pas une vraie onde gravitationnelle, mais juste un bruit plus intense que les autres. Dans les autres cas où il y a une corrélation dans le bruit, alors il se pourrait que l’équipe de LIGO ait soustrait le signal de l’onde gravitationnelle à partir des données brutes de telle sorte qu’il y a eu un résidu du bruit qui a persisté. Ou encore, il y aurait une petite quantité de corrélation dans le bruit qui a provoqué une mauvaise interprétation dans le signal de l’onde gravitationnelle. Si c’est ce dernier cas, alors cette corrélation du bruit pourrait provoquer un biais dans le résultat en donnant de fausses informations sur les trous noirs qui ont créé les ondes gravitationnelles.

    Une illustration de la controverse sur les ondes gravitationnelles - Crédit : Lucy Reading-Ikkanda/Quanta Magazine

    Une illustration de la controverse sur les ondes gravitationnelles – Crédit : Lucy Reading-Ikkanda/Quanta Magazine

    Mais Ian Harry qui est chercheur au LIGO, dans sa réponse à l’équipe danoise, estime que cette dernière a mal utilisé une technique pour l’analyse des données.3 En effet, Jackson et ses collègues ont utilisé une technique appelée comme la transformation de Fourier. La transformation de Fourier sépare un signal de donnée dans une série de formes ondulatoires plus simples. L’erreur selon Ian Harry se base sur la supposition technique que le signal de l’entrée des données est cyclique ce qui signifie qu’il se répète sans aucune discontinuité. Par exemple, une onde sonore cyclique pourrait être la répétition d’un son sans aucun “saut” entre chaque répétition. Et un signal qui n’est pas cyclique ne peut pas être analysé avec la transformation de Fourier sans introduire des erreurs subtiles. D’autre part, un phénomène connu comme Gibbs déforme la fréquence du signal d’entrée et donc, cela réduit la précision du signal. Pour résumer, Harry démonte le papier de Jackson et de Creswell en 3 points :

    1. La corrélation observée provient de l’utilisation de la fonction de transformation de Fourier (FFT). Nous avons obtenu la même corrélation avec du bruit gaussien simulé.
    2. L’analyse du LIGO utilise des données “blanchies” pour chercher des fusions de trous noirs binaires comme le GW150914 (c’est le nom de l’événement des ondes gravitationnelles). Quand on répète l’analyse de Creswell dans les données “blanchies”, alors les effets de corrélation disparaissent complètement.
    3. Notre sigma de 5 provient d’une procédure répétée sur un décalage du temps sur les données et ce Sigma n’est pas invalidé si les corrélations décrites par Creswell et al sont présentes.

    La controverse scientifique ne sera jamais le temps médiatique

    En soi, ce type de controverse scientifique est rassurant, car même avec un Sigma de 5, les scientifiques ne sont pas satisfaits et ils vont continuer à améliorer les résultats. Mais le problème est que ce papier sur arXiv a été partagé plusieurs fois sur Twitter et Facebook. Mais c’est le blog Start with a Bang qui a mis le feu aux poudres. Start with a Bang est un blog scientifique qui est assez réputé dans le monde anglophone. Il est connu pour ses articles assez complets. Mais les critiques sont aussi nombreuses sur Start with a Bang, car d’une part, ses articles sont à la limite du sensationnalisme avec une promotion agressive sur Medium, mais ils ont également lancé une version sur Forbes. Et c’est là que ça coince, car sans attendre les réponses du LIGO ou de donner le temps à d’autres chercheurs de critiquer le papier sur arXiv, Sabine Hossenfelder, physicienne théoricienne, publie un article sur ce blog hébergé par Forbes.4 Forbes est un magazine avec plus de 6 millions de lecteurs mensuels et le souci est que cet article n’est pas du tout critique sur le papier sur arXiv, mais qu’il va même dans le sens de l’équipe du Niels Bohr Institute.

    Mark Hannam, professeur à l’université de Cardiff et spécialiste de l’astronomie avec les ondes gravitationnelles, ne mâche pas ses mots sur l’article racoleur de Start with a Bang avec un article intitulé l’Irrésistible attirance de la controverse.5 Encore une fois, on pourrait arguer que c’est comme ça que la science fonctionne avec son lot de controverses, mais si la controverse implique qu’on se précipite pour publier un papier pour infirmer l’une des plus grandes découvertes scientifiques de cette décennie en commettant des erreurs grossières sur la méthode pour analyser ses données, alors on devrait vraiment s’asseoir pour réfléchir sur notre paradigme de décision.

    Des étudiants en physique peuvent trouver des erreurs sur les équations de Feyman, de Newton ou même d’Einstein. Est-ce qu’ils vont le crier sur les toits ? Non, ils vont fermer sagement leur gueule en admettant que ce sont leurs calculs qui sont en cause. Malgré ses apparences de blog scientifique, Start with A Bang est tombé totalement dans ce qu’on appelle le faux équilibre médiatique où un média va donner un poids équivalent à deux entités alors que les arguments des deux entités n’ont pas du tout le même équilibre. Par exemple, un faux astronome nous dit qu’un astéroïde va bientôt percuter la terre et de l’autre côté, la NASA nous dit qu’il n’y a aucun danger. Le faux équilibre médiatique va nous faire croire que les deux arguments se valent alors qu’on a un seul astronome d’un côté et des milliers de personnes de la NASA qui ont des décennies d’expérience sur les astéroïdes.

    Le faux équilibre médiatique peut poser de gros problèmes quand on parle de science.

    Le faux équilibre médiatique peut poser de gros problèmes quand on parle de science.

    Et c’est la même chose sur cette controverse sur les ondes gravitationnelles. D’un coté, on a un papier sur arXiv écrit par 5 personnes et de l’autre coté, la collaboration du LIGO composé de 1 000 personnes qui ont travaillé comme des acharnés pendant 10 ans pour détecter cette onde gravitationnelle. La médiatisation est problématique, mais la principale faute revient aux 5 chercheurs. S’ils avaient vu un problème dans les données, alors pourquoi ne pas avoir contacté directement les chercheurs du LIGO ? Pourquoi se précipiter sur arXiv pour publier un papier à part pour avoir de la publicité quitte à s’excuser par la suite. On a plutôt l’impression que les chercheurs avaient déjà leur hypothèse de départ et qu’ils ont utilisé l’outil mathématique qu’il fallait pour la confirmer dans les données en les torturant au passage.

    La science = Attendre, attendre et encore attendre

    On pourrait également arguer que la médiatisation de ce type de controverse scientifique n’est pas une mauvaise chose, car cela permet au public de comprendre les coulisses de la science. C’est vrai et on ne va pas jouer les hypocrites en disant qu’on attend 1 an avant de publier nos articles. Mais quand on doit publier ce type de controverse, alors on doit toujours pencher vers le consensus plutôt que vers l’hypothèse exceptionnelle sans une preuve exceptionnelle. Start with a Bang n’a pas émis de critiques notables dans son article. On a eu un autre exemple il y a quelques semaines. Des chercheurs prétendaient qu’ils avaient prouvé l’origine européenne de l’Homo sapiens. Aucun site scientifique sérieux (comme Nature ou Science) n’en a parlé, mais The New Scientist en a parlé, mais il l’a fait en allant dans le consensus.6 Il a décrit la découverte dans un paragraphe et le reste de l’article avait démonté le papier point par point.

    N’oublions pas que les grandes découvertes scientifiques sont très rares. On connait les découvertes de Darwin, de Newton ou d’Einstein, mais combien d’autres scientifiques ont échoué alors qu’ils pensaient avoir fait des découvertes révolutionnaires ? Mark Hannam estime que cela va beaucoup plus loin que la controverse scientifique. Les ondes gravitationnelles ont bénéficié d’une médiatisation massive. Dans quelques années (peut-être même cette année), on peut être certain que les scientifiques du LIGO vont recevoir un prix Nobel pour leurs découvertes.

    Et on passe donc de la science à la célébrité et dans ce domaine, les comportements changent et même des personnes, aguerries aux méthodes scientifiques, deviennent imprévisibles. Concernant les ondes gravitationnelles, n’oublions pas qu’on a déjà eu un précédent avec l’expérience BICEP2 qui prétendait avoir découvert les ondes gravitationnelles primordiales (datant du Big Bang) et il a fallu attendre plusieurs années pour qu’on infirme la découverte.7 Concernant ce papier sur arXiv, il a fallu seulement 5 jours aux chercheurs de LIGO pour démonter le papier. Cela montre que son potentiel de critique est à la hauteur de la compétence de ses auteurs, mais qu’il est peut-être à la hauteur de la jalousie de certains sur le fait que le LIGO risque de rafler de nombreux lauriers dans le secteur de la physique. Mais peut-être que ce papier a raison et qu’il y a des problèmes dans les analyses des données du LIGO et c’est pourquoi, on doit attendre, attendre et encore attendre avant que toutes les controverses scientifiques soient totalement réglés et jusque là, il est parcimonieux d’aller toujours vers le consensus ou le faisceau de preuves le plus robuste jusqu’à preuve du contraire.

    Sources

    1.
    James C, Sebastian von H, Andrew D. J, Hao L, Pavel N. On the time lags of the LIGO signals. arXiv. https://arxiv.org/abs/1706.04191. Accessed July 2, 2017.
    2.
    Data release for event GW150914. LIGO Open Science Center. https://losc.ligo.org/events/GW150914/. Accessed July 2, 2017.
    3.
    A Response to “On the time lags of the LIGO signals” (Guest Post). Sean Carroll. https://www.preposterousuniverse.com/blog/2017/06/18/a-response-to-on-the-time-lags-of-the-ligo-signals-guest-post/. Published June 18, 2017. Accessed July 2, 2017.
    4.
    Sabine H. Was It All Just Noise? Independent Analysis Casts Doubt On LIGO’s Detections. forbes.com. https://www.forbes.com/sites/startswithabang/2017/06/16/was-it-all-just-noise-independent-analysis-casts-doubt-on-ligos-detections/#3ebcc7a15516.
    5.
    Hannam    Mark. The Irresistible Allure of Controversy. fictionalaether.blogspot.co.uk. http://fictionalaether.blogspot.co.uk/2017/06/the-irresistible-allure-of-controversy.html?m=1. Accessed July 2, 2017. [Source]
    6.
    Our common ancestor with chimps may be from Europe, not Africa. New Scientist. https://www.newscientist.com/article/2132026-our-common-ancestor-with-chimps-may-be-from-europe-not-africa/. Accessed July 2, 2017.
    7.
    Sacco L. Inflation de l’univers : Planck et Bicep2 n’ont pas vu les ondes du Big Bang. Futura. http://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/rayonnement-fossile-inflation-univers-planck-bicep2-nont-pas-vu-ondes-big-bang-56994/. Published February 3, 2015. Accessed July 2, 2017.

    Houssen Moshinaly

    Rédacteur en chef d'Actualité Houssenia Writing. Rédacteur web depuis 2009.

    Blogueur et essayiste, j'ai écrit 9 livres sur différents sujets comme la corruption en science, les singularités technologiques ou encore des fictions. Je propose aujourd'hui des analyses politiques et géopolitiques sur le nouveau monde qui arrive. J'ai une formation de rédaction web et une longue carrière de prolétaire.

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