Le vrai Socrate était-il plus mondain et plus amoureux des biens matériels ?


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  • On considère Socrate comme le fondateur de la philosophie occidentale. Mais au delà de l’aspect d’un homme modeste et peu éduqué, on a un Socrate bien plus aristocratique qui émerge si on lit les déclarations d’Aristote.


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    Socrate tirant Alcibiade de l'étreinte d'Aspasia (1785) de Jean-Baptiste Regnault qu'on peut voir au Louvre, Paris - Crédit : Wikipédia
    Socrate tirant Alcibiade de l'étreinte d'Aspasia (1785) de Jean-Baptiste Regnault qu'on peut voir au Louvre, Paris - Crédit : Wikipédia

    On considère généralement que Socrate est la figure fondatrice de la philosophie occidentale. C’est un penseur dont les idées, transmises par les nombreux écrits de son fidèle disciple Platon, façonnent la pensée depuis plus de 2 000 ans. Pour le meilleur ou pour le pire, écrivait Diskin Clay dans Platonic Questions (2000), le Socrate de Platon est notre Socrate.

    L’image de Socrate par Platon

    L’image persistante de Socrate qui vient de Platon est celle d’un homme d’origine modeste, peu éduqué et un aspect peu attrayant, qui est devenu un philosophe brillant et controversé marié à une femme argumentative appelée Xanthippe. Platon et Xénophon, l’autre biographe principal de Socrate, sont tous deux nés vers 424 avant notre ère.

    Ils ne connaissaient donc Socrate (né vers 469 avant notre ère) que comme un vieil homme. Soucieux de défendre sa réputation contre les accusations “d ‘introduction de nouveaux genres de dieux” et de “corruption de jeunes hommes” pour lesquelles il fut finalement jugé et exécuté, ils dépeignirent Socrate à la fin du moyen âge comme un enseignant pieux et un penseur avec une éthique sans faille, un homme engagé à fuir les plaisirs corporels à des fins d’enseignement supérieur.

    La version de Socrate par Aristote

    Pourtant, cette image clairement idéalisée de Socrate n’est pas toute l’histoire et ne nous donne aucune indication sur la genèse de ses idées. Aristote, élève de Platon, et d’autres auteurs anciens nous fournissent des correctifs au Socrate de Platon. Par exemple, les disciples d’Aristote, Aristoxène et Cléarque de Soles, conservent des extraits biographiques qu’ils auraient pu connaître de leur professeur.

    Nous apprenons d’eux que Socrate, dans son adolescence, était intime avec un philosophe distingué et plus âgé, Archelaus; qu’il s’est marié plus d’une fois, la première fois avec une femme aristocratique appelée Myrto, avec qui il a eu deux fils; et qu’il avait une liaison avec Aspasie de Milet, la femme intelligente et influente qui allait devenir plus tard le partenaire de Périclès, un citoyen influent d’Athènes.

    Un Athénien aristocratique

    Si l’on en croit ces déclarations, un Socrate différent apparaît: celui d’un jeune Athénien haut placé, dont les expériences personnelles au sein d’un milieu de haut niveau l’ont poussé à se lancer dans un nouveau style de philosophie qui allait changer la façon de penser des gens par la suite. Mais pouvons-nous faire confiance à ces auteurs ?

    On considère Socrate comme le fondateur de la philosophie occidentale. Mais au delà de l'aspect d'un homme modeste et peu éduqué, on a un Socrate bien plus aristocratique qui émerge si on lit les déclarations d'Aristote.

    Comment des écrivains éloignés de deux générations ou plus du temps de Socrate auraient-ils eu le droit de contredire Platon ? Une réponse est qu’Aristote aurait pu tirer certaines informations de Platon en personne, plutôt que de ses écrits et les transmettre à ses élèves. Un autre est que, en tant que membre de l’Académie de Platon pendant 20 ans, Aristote aurait pu savoir que Platon avait éludé certains faits pour défendre la réputation de Socrate. Un troisième est que les derniers auteurs ont eu accès à d’autres sources (orales et écrites) autres que Platon, qu’ils considéraient comme fiables.

    Les voix dans la tête de Socrate

    Le Socrate de Platon est un excentrique. Socrate a affirmé avoir entendu des voix dans sa tête depuis sa jeunesse et on l’a décrit comme étant immobile dans les lieux publics pendant de longues périodes, plongé dans ses pensées. Platon note ces phénomènes sans commentaire, acceptant la propre description des voix donnée par Socrate comme étant son signe divin et rendant compte de sa capacité impressionnante à méditer pendant des heures.

    Aristote, fils de médecin, a adopté une approche plus médicale. Il a suggéré que Socrate (avec d’autres penseurs) souffrait d’une maladie qu’il qualifiait de mélancolie. De récents enquêteurs médicaux ont confirmé le diagnostic d’Aristote, spéculant que le comportement de Socrate était compatible avec un état pathologique appelé catalepsie. Socrate aurait pu se sentir séparé de ses pairs au début de sa vie, l’encourageant ainsi à adopter un mode de vie différent.

    La fausse interprétation de Platon sur la théorie des formes

    Si l’image reçue de la vie et de la personnalité de Socrate mérite d’être réexaminée, qu’en est-il de sa pensée ? Aristote indique clairement dans sa Métaphysique que Platon a mal représenté Socrate à propos de la prétendue théorie des formes :

    Socrate se préoccupait d’éthique, négligeant le monde naturel, mais cherchant l’universel en matière d’éthique et il fut le premier à insister sur les définitions. Platon a repris cette doctrine, mais a fait valoir que ce qui était universel ne s’appliquait pas à des objets de sens, mais à des entités d’un autre genre. Il pensait qu’une seule description ne pourrait pas définir les choses perçues, car celles-ci changent constamment. Entités immuables qu’il appelle formes.

    Un amoureux des deux sexes

    Aristote lui-même avait peu de sympathie pour de tels points de vue. Biologiste et scientifique, il s’intéressait principalement à l’investigation empirique du monde. Dans ses propres écrits, il a rejeté les formes, les remplaçant par un récit logique des universaux et de leurs instanciations particulières. Pour lui, Socrate était aussi un penseur plus terre-à-terre que Platon ne cherchait à décrire.

    Des sources de l’Antiquité tardive, telles que les écrivains chrétiens du Ve siècle, Théodoret de Cyr et Cyrille d’Alexandrie, déclarent que Socrate était, au moins dans sa jeunesse, un amoureux des deux sexes. Ils corroborent des aperçus occasionnels d’un Socrate terrestre dans les écrits de Platon, comme dans le dialogue Charmides où Socrate prétend être intensément excité par la vue de la poitrine nue du jeune homme.

    Cependant, le seul partenaire de Socrate nommé par Platon est Xanthippe; mais comme elle portait un bébé dans ses bras quand Socrate avait 70 ans, il est peu probable qu’ils se soient rencontrés plus d’une décennie plus tôt, alors que Socrate était déjà dans la cinquantaine.

    L’influence d’Aspasia sur Socrate

    Le fait que Platon ne mentionne pas son ancienne épouse aristocratique, Myrto, pourrait constituer une tentative de minimiser toute perception selon laquelle Socrate serait issu d’un milieu relativement riche, ayant des liens avec des membres haut placés de sa communauté. C’est en grande partie parce que l’on croyait que Socrate était associé aux aristocrates antidémocratiques qui avaient pris le pouvoir à Athènes qu’il fut jugé et exécuté en 399 avant notre ère.

    Le témoignage d’Aristote rappelle donc que l’image de Socrate léguée par Platon ne doit pas être acceptée sans discernement. Surtout, si Socrate devenait, à un moment donné dans sa jeunesse, le compagnon d’Aspasia, une femme célèbre en tant qu’instructrice d’éloquence et de conseiller en relations, cela changerait potentiellement notre compréhension, non seulement de sa jeunesse, mais aussi de la formation de ses idées philosophiques. Il est célèbre pour avoir déclaré: Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien.

    Mais la seule chose qu’il prétend, dans le symposium de Platon, qu’il connaisse, c’est l’amour, qu’il a appris d’une femme intelligente. Cette femme aurait-elle pu être Aspasia, qui fut sa compagne bien-aimée ? Le vrai Socrate doit rester insaisissable mais, dans les déclarations d’Aristote, Aristoxène et Cléarque de Soles, nous avons un aperçu intrigant d’un Socrate différent de celui décrit avec une telle éloquence dans les écrits de Platon.

    Traduction d’un article sur Aeon par Armand D’Angour, professeur associé dans les Classiques à l’université d’Oxford.

    Houssen Moshinaly

    Rédacteur en chef d'Actualité Houssenia Writing. Rédacteur web depuis 2009.

    Blogueur et essayiste, j'ai écrit 9 livres sur différents sujets comme la corruption en science, les singularités technologiques ou encore des fictions. Je propose aujourd'hui des analyses politiques et géopolitiques sur le nouveau monde qui arrive. J'ai une formation de rédaction web et une longue carrière de prolétaire.

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