Violence conjugale : comment aller au-delà de l’intervention pénale


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  • La violence conjugale n’est pas totalement couverte sur le plan pénal et il faut des projets qui vont au delà de la sanction judiciaire. Malgré de nombreux progrès, la violence conjugale reste tabou dans de nombreuses couches de la société.


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    Les violences conjugales se sont nettement accrues entre 1996 et 2010. SGBD Paris/Flikr, CC BY-NC-ND

    Claudine Perez-Diaz, Université Paris Descartes – USPC and Marie-Sylvie Huré, Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)

    Longtemps déniée, la question de la violence conjugale est devenue récemment une préoccupation politique au niveau international. Devant l’ampleur du phénomène, la répression pénale s’est imposée comme un instrument indispensable. La France a précédé ce mouvement en adoptant une loi en 1992, mise en œuvre en 1994. Et les condamnations pour violences conjugales se sont nettement accrues entre 1996 et 2010.

    Dans notre étude, nous mettons en évidence qu’une part stable et prédéterminée de l’activité des tribunaux est consacrée à ces contentieux. Mais nous montrons aussi que les faits enregistrés par le parquet et les affaires condamnées ne rendent compte que d’une infime partie des violences conjugales commises, approchées par des enquêtes dites de « victimation » auprès d’un échantillon représentatif. Car, d’une part seule, une très petite partie des faits commis est rapportée au pénal et, d’autre part, ce système n’a pas les moyens de traiter tous les délits commis, ni même nombre de ceux qui viennent à sa connaissance. Mais dans le cadre d’une analyse quantitative de la mise en œuvre de cette loi par un
    grand tribunal de la région parisienne, les affaires classées nous renseignent sur les violences physiques effectives qui auraient pu être jugées.

    Injonction thérapeutique

    Face à de tels problèmes, l’institution pénale innove pour accroître sa capacité de traitement avec des procédures alternatives du type rappel à la loi et injonction thérapeutique. De plus, l’enregistrement des faits en main courante par les forces de l’ordre ou des affaires classées par le judiciaire permet de construire un dossier d’antécédents pénaux. Ce faisant, le système pénal accroît sa capacité d’action dissuasive par la menace d’une éventuelle intervention ultérieure bien documentée.

    Sur près de 800 affaires de ce ressort, divers critères – alcoolisation (lors des faits, ou massive et habituelle), blessure effective de la victime et violences répétées – contribuent à la décision de juger. Pourtant, aucun n’est déterminant, puisque tous apparaissent aussi dans des affaires classées. C’est donc la combinaison de plusieurs de ces facteurs qui prévaut dans cette décision. Et cela, bien avant que la loi de 2007 n’incrimine directement l’alcool.

    Les juges ne prononcent des obligations de soins qu’en cas de graves problèmes – d’alcool ou psychiatriques. Et ces mesures ne sont pas utilisées à la hauteur des besoins. Afin d’accroître son effectivité et son efficacité à moindre coût, le parquet pourrait utiliser massivement l’injonction thérapeutique pour imposer des Conseils brefs ou des Interventions brèves en matière d’alcool.

    Le mythe de l’État souverain

    Notre analyse confirme l’observation de nombreux auteurs quant à l’érosion du mythe d’un État souverain capable d’intervenir efficacement en toutes matières. Par contre, l’hypothèse anglo-saxonne d’un système pénal dont l’objectif serait d’éviter de traiter un maximum d’affaires afin de les orienter vers d’autres institutions ne se vérifie pas en France. Il apparaît ici que la justice tient à rester l’ordonnateur des traitements alternatifs, fussent-ils exécutés par d’autres.

    Les contentieux judiciaires étudiés montrent aussi que le pénal constitue une ressource pour des populations modestes et plus que proportionnellement étrangères (27 % au lieu de 11 %), dépourvues d’autres moyens pour régler leurs problèmes. Afin d’objectiver le phénomène de la violence conjugale, près de 200 conflits sont décrits, analysés et comparés dans notre étude.

    Ces couples, stables pour la plupart, sont souvent aux prises avec des divergences normatives. Générationnelles pour des conjoints ayant d’importantes différences d’âge. Culturelles pour des couples étrangers ou de références méditerranéennes. Souvent, des problèmes de santé tels que l’alcool ou des problèmes psychiatriques créent ou enveniment des conflits. Enfin, quelques auteurs se distinguent par leur dangerosité extrême : leurs violences récurrentes comportent des gestes destinés à tuer, telles des tentatives de strangulation ou d’étouffement. Des difficultés de la vie commune et des jalousies apparaissent dans tous ces conflits et expliquent les plus simples. Les problèmes d’alcool d’un des protagonistes dominent largement certains conflits, tandis que des relations d’emprise caractérisent les plus violents.

    Victimes actives

    Une composante spécifique, celle de l’agressivité féminine émerge. Elle est presque toujours très inférieure à celle des auteurs et s’exprime surtout verbalement. Cette agressivité accompagne des revendications explicites : faire valoir son point de vue, s’émanciper d’un rôle imposé par un conjoint autoritaire, revendiquer sa liberté sexuelle… Certaines victimes de conflits dominés par l’alcool cherchent à imposer à l’auteur une plus grande sobriété – que ce soit pour les faire adhérer à leurs propres valeurs ou pour se protéger des coups pressentis. Ce faisant, elles déclenchent l’agression.

    Les auteurs de violences récurrentes risquent, pour certains, de tuer leur conjointe. Si leurs victimes sont très actives, voire agressives, c’est surtout pour se défendre d’un danger qu’elles perçoivent sans parvenir à s’y soustraire. Déstabilisées par une relation d’emprise, leurs réactions sont souvent peu cohérentes, provoquant ou envenimant des conflits qu’elles ne maîtrisent pas.

    L’analyse de ces conflits permet de repérer des situations à risques dont les victimes pourraient être protégées : soit par un éloignement, soit par une meilleure information des auteurs et des victimes sur les problèmes qu’ils rencontrent.

    The Conversation

    Claudine Perez-Diaz, Chercheur au CNRS en sociologie, Université Paris Descartes – USPC and Marie-Sylvie Huré, Ingénieur d’études, Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)

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