Comment la gauche française a sauvé le régime politique putréfié

Les principaux points-clés

  • Les élections françaises ont vu une défaite significative de la droite néolibérale macroniste, perdant un tiers de ses sièges à l’Assemblée nationale.
  • Le Rassemblement National (RN) a augmenté sa présence parlementaire de 38%, malgré les efforts du “front républicain”.
  • Le Nouveau Front Populaire (NFP) a gagné des sièges, mais principalement au profit de son aile droite (Parti Socialiste et Verts).
  • La stratégie d’alliance entre la gauche et les macronistes pour contrer l’extrême-droite a peut-être empêché une victoire plus large du RN, mais a aussi sauvé la droite néolibérale.
  • Les grandes villes ont majoritairement voté pour le NFP, tandis que les zones rurales et les petites villes restent des bastions de l’extrême-droite.
  • Les tensions sociales persistent, notamment dues à la dégradation des conditions de vie des classes moyennes et populaires, tant en milieu urbain que rural.
  • La gauche française, faisant partie du régime actuel, ne cherche pas à le renverser, ce qui profite à l’extrême-droite dans sa propagande.
  • Une potentielle future crise sociale pourrait pousser une partie de la bourgeoisie à soutenir l’extrême-droite comme rempart contre une révolte ouvrière.

Eduardo Vasco sur Strategic Culture Foundation

Le grand perdant des élections françaises n’est pas l’extrême droite. Il est certain que sans les accords fallacieux entre le Nouveau Front Populaire et les macronistes, le Rassemblement National aurait encore grandi. Mais le résultat du second tour n’est pas exactement une victoire de la gauche.

Après que le RN de Marine Le Pen ait remporté le premier tour des élections, les dirigeants du NFP sont tombés dans le piège de la presse française et d’Emmanuel Macron, abandonnant de nombreuses candidatures pour augmenter les chances de la droite néolibérale liée au parti de la Renaissance de battre l’extrême droite.

La grande bourgeoisie française a appelé à un “front républicain” pour créer un “cordon sanitaire” formé par la gauche et la droite néolibérale afin d’empêcher une victoire écrasante du RN, ce qui a conduit à des accords dans environ 220 circonscriptions électorales pour que le candidat avec une chance supposément plus faible de vaincre le RN abandonnerait la course au profit du candidat ayant la plus grande chance. Mais la plupart des abandons provenaient du NFP afin que les alliés de Macron puissent battre les alliés de Le Pen, même si le NFP est arrivé deuxième au premier tour, loin devant la coalition de Macron.

Les rivaux d’extrême droite ont été soulagés par les résultats, le Parlement étant désormais fragmenté et non dominé par le RN. Mais ils ont raté l’occasion d’enterrer la droite macroniste, c’est-à-dire la droite néolibérale traditionnelle, qui a ouvert la voie au fascisme ces dernières années en appliquant une politique de plus en plus proche de celle défendue par Le Pen.

En fait, la coalition de droite au pouvoir a perdu 82 sièges à l’Assemblée nationale par rapport aux dernières élections. Il a subi une réduction d’un tiers de ses députés. Les Républicains, également issus de la droite néolibérale traditionnelle, ont perdu un quart de leurs législateurs. L’aile droite de la Ve République a sans aucun doute été la plus grande défaite.

Cela signifie que leurs votes ont été partagés, la majorité étant évidemment allée à l’extrême droite. Le RN a augmenté son banc de 38 %. L’autre partie des voix est allée à gauche. Le NFP a remporté 18 % de sièges de plus que lors des dernières élections. Mais c’est l’aile droite du NFP qui a obtenu la majorité de ces voix.

Alors que le nombre de députés élus par La France Insoumise n’a pratiquement pas changé, le Parti Socialiste est passé de 30 à 59, doublant ainsi le nombre de sièges au Parlement. Le PS, comme toutes les anciennes social-démocraties européennes (SPD allemand, Parti travailliste britannique, PSOE espagnol), a adhéré au néolibéralisme il y a plusieurs décennies. Ce n’est rien d’autre qu’une aile gauche de la Cinquième République, c’est-à-dire du régime impérialiste français actuel, il suffit de rappeler que le PS a gouverné la France lorsqu’il a envahi le Mali, est anti-russe et contribue à soutenir le sionisme.

L’autre parti de droite du NFP qui a bénéficié de ces élections est les Verts, qui ont enregistré une croissance de 18 %. Les conclusions basées sur les résultats électoraux sont donc les suivantes : 1) la droite néolibérale macroniste a été la plus grande perdante, mais elle n’est pas tombée au plus bas car 2) la gauche l’a sauvée, effrayée par l’extrême droite, bien que 3) au sein des forces de gauche, le grand bénéficiaire a été la social-démocratie néolibérale, qui applique un “néolibéralisme rose” peu différent de Macron 4) l’extrême droite a été simplement contenue et, comme le disait Le Pen, sa victoire n’a été que “reportée””.

Les tensions sociales ne seront pas maîtrisées

La grande bourgeoisie impérialiste française a manipulé les résultats des élections dans le but principal de contenir les masses populaires qui ont balayé les grandes villes avec une révolte croissante ces dernières années. Une apparente victoire de la gauche plaît à une partie de ces masses, qui croient toujours que le PS et LFI mèneront leur pays vers la transformation sociale.

Une victoire du centre-gauche, c’est-à-dire des réformistes traditionnels désormais choisis par la bourgeoisie pour administrer la France, contient aussi momentanément la montée de l’extrême droite au pouvoir, ce qui donne plus de temps aux négociations entre les différentes ailes du parti de la bourgeoisie.

Toutes les villes de plus de 200 000 habitants ont voté massivement pour les candidats du NFP. Mais à Marseille, deuxième ville du pays, scène traditionnelle du mouvement ouvrier sudiste, le RN a réussi à s’imposer dans la moitié des circonscriptions, ce qui sert d’avertissement sur l’orientation possible d’une partie du prolétariat vers l’extrême droite.

Car, dans les campagnes et dans les petites villes, le soutien au RN est déjà très visible. La campagne française est le lieu où vit l’importante base électorale de l’extrême droite. Et il a une force qu’on ne peut ignorer. Ce sont justement les petits et moyens producteurs ruraux qui ont généré une énorme crise dans toute l’Union européenne entre la fin de l’année dernière et le début de cette année, en faisant défiler leurs tracteurs dans toutes les métropoles (et dans 85% des départements français), ainsi que si l’on se souvient du gouvernement, ils existent et peuvent aider à le renverser et à transformer le pays.

Tout comme le prolétariat urbain, les classes moyennes et inférieures des campagnes sont également en colère contre les politiques néolibérales. Au cours des 40 dernières années, l’État a confié au secteur privé l’entière responsabilité de fournir des infrastructures aux populations rurales. Mais le secteur privé n’investit pas dans ce domaine parce qu’il n’y voit pas de grands retours. Il y a par exemple beaucoup moins d’hôpitaux et de cliniques que nécessaire. Seul l’État est pleinement capable de garantir ces services, mais il a été absent ces dernières décennies.

Les jeunes des campagnes, comme ceux des villes, sont les plus touchés. Ils ont moins accès à l’éducation et, par conséquent, moins de chances de réussir sur un marché du travail très compétitif. Au cours de la dernière décennie, le taux de jeunes sans éducation suffisante, sans emploi et sans stage a été beaucoup plus élevé à la campagne que dans les villes et les femmes des campagnes obtiennent également moins d’emplois que les hommes, par rapport aux femmes des villes. L’idéologie Woke, proclamée aussi bien par le régime Macron que par la gauche réformiste du NFP, ne résout aucun des problèmes de ces femmes, qui finissent par être attirées par l’extrême droite.

L’un des principaux piliers qui soutiennent le régime capitaliste est l’alliance entre la grande bourgeoisie et la classe moyenne, tant à la ville qu’à la campagne. Et ce pilier s’effondre progressivement, à mesure que la qualité de vie et les conditions économiques et matérielles de la classe moyenne se sont fortement détériorées au cours de ce siècle. La seule alternative pour améliorer la vie de la classe moyenne appauvrie est de s’allier avec les travailleurs, eux aussi de plus en plus mécontents. Les deux classes ont attaqué le régime français, mais pas de manière unifiée.

La gauche française pourrait unifier ces classes pour combattre ensemble le régime, et ainsi inévitablement le renverser. Le problème est qu’elle ne souhaite pas renverser le régime, car elle en fait volontiers partie. Et si elle fait partie du régime, elle en est complice. Complice d’un régime qui exploite et opprime la majorité de la population.

L’extrême droite a su utiliser ce fait dans sa propagande pour attirer les classes moyennes urbaines et rurales et une partie du prolétariat désorganisé, notamment dans les petites villes, où la désindustrialisation est très visible. Mais, comme elle a également démontré qu’elle faisait partie de ce régime, en s’alignant à plusieurs reprises sur Macron, elle rencontre toujours un grand rejet parmi les classes populaires, qui se radicalisent mais manquent de direction politique.

Quoi qu’il en soit, l’extrême droite continue de croître. Et, même si la bourgeoisie française ne s’est pas encore unifiée autour du RN, la crise de la droite traditionnelle conduit une partie importante de cette bourgeoisie à le soutenir. La tendance en France est que les classes populaires, dirigées par les travailleurs urbains, entrent également en conflit avec la social-démocratie et la gauche pour laquelle elles viennent de voter, car si elle forme ou fait partie du nouveau gouvernement, elle poursuivra inévitablement le discours détesté de politique néolibérale.

Un bouleversement social, de plus en plus probable, menacera de balayer le régime et cela signifiera que la partie de la bourgeoisie qui croit aujourd’hui que l’aile gauche de ses employés peut sauver le régime commencera également à soutenir l’extrême droite comme le seule force capable de contenir la révolte ouvrière.

Ainsi, tous ceux qui ont été sauvés du précipice par l’ingéniosité de la gauche et se présentent aujourd’hui comme les champions de la démocratie et de la liberté salueront Marine Le Pen comme la seule capable de garantir l’ordre et la cohésion sociale.

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