Les médicaments anti-Alzheimer vont pouvoir continuer à ruiner la santé des patients


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  • On va continuer à rembourser les médicaments contre l’Alzheimer même si les effets secondaires surpassent les bienfaits. Une décision politique sans aucune considération de la connaissance scientifique.


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    On va continuer à rembourser les médicaments contre l'Alzheimer même si les effets secondaires surpassent les bienfaits.

    Philippe Nicot, Université de Limoges

    La ministre de la Santé vient d’annoncer, le 26 octobre sur RTL, qu’elle ne suivrait pas la Haute autorité de santé (HAS) dans sa recommandation de dérembourser les médicaments contre la maladie d’Alzheimer. La décision de Marisol Touraine peut passer, à première vue, pour une bonne nouvelle. Ce n’est pas cette fois qu’on réalisera des économies sur notre dos, se disent sans doute certains patients et leurs proches… En fait, ce qui se passe est bien pire. Le choix de la ministre revient à jouer dangereusement avec la santé des personnes touchées par cette maladie neurodégénérative.

    La HAS, autorité publique indépendante, a rendu le 21 octobre un verdict sans appel, via sa Commission de la transparence. Les quatre médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer ont un service médical rendu « insuffisant », n’autorisant pas leur remboursement. Dit clairement : ils ne sont pas utiles car ils suscitent trop d’effets secondaires pour un bénéfice non avéré. Jusqu’ici, ces traitements bénéficiaient d’une cotation en service médical rendu (SMR) « faible », synonyme d’un remboursement à 15 % par l’Assurance maladie.

    La Commission pointe, pour ces médicaments, leur « efficacité au mieux modeste associée à leur mauvaise tolérance », insistant sur « la nécessité d’une prise en charge globale des patients et des aidants intégrant des approches non médicamenteuses ». Elle estime que « l’intérêt de ces médicaments est insuffisant pour justifier leur prise en charge par la solidarité nationale ». Dans son communiqué à la presse, la HAS enfonce le clou :

    « Au regard de l’absence de pertinence clinique de l’efficacité de ces médicaments et des risques de survenue d’effets indésirables, la HAS considère que ces médicaments n’ont plus de place dans la stratégie thérapeutique. »

    Les médicaments concernés sont le donépézil (Aricept, du laboratoire Eisai), la mémantine (Ebixa), la rivastigmine (Exelon) et la galantamine (Reminyl Janssen-Cilag), ainsi que leurs génériques.

    Une maltraitance envers des patients vulnérables

    Maintenir le remboursement de ces traitements, donc leur prescription par les médecins, c’est en réalité exposer les patients à des effets secondaires parfois très graves. Ces médicaments peuvent en effet susciter des troubles du rythme cardiaque et rendre nécessaire, par la suite, la pose de pacemaker. Ils peuvent provoquer des chutes, donc des fractures du col du fémur qui se termineront par la pose de prothèse totale de hanche. Tolérer de tels effets secondaires en l’absence de bénéfice constitue une maltraitance envers des patients particulièrement vulnérables.

    Les interrogations sur les anti-Alzheimer ne sont d’ailleurs pas neuves. Le travail mené par la HAS constitue la troisième réévaluation, les précédentes datant de 2007 et 2011. Cette fois, le débat scientifique est clos. Dès lors, comment comprendre que la ministre de la Santé remette à plus tard, voire à jamais, leur déremboursement ?

    Voici ce qu’a déclaré Marisol Touraine, invitée sur RTL le 26 octobre :

    « Je suis sensible au fait que les malades aujourd’hui n’ont pas de dispositifs de prise en charge et donc ce que je veux, c’est mettre en place un parcours de soins, un protocole de soins élaboré par les scientifiques en lien avec les associations de patients. Tant que ce protocole de soins ne sera pas élaboré et mis en œuvre, la question du déremboursement ne peut pas et ne doit pas se poser. »

    Mauvaise réponse à une bonne question

    Marisol Touraine dit répondre aux associations de patients comme France Alzheimer, inquiètes à l’idée que les malades puissent renoncer à venir consulter un médecin qui ne leur prescrira pas de traitement. On retrouve derrière les mots de la ministre la position des défenseurs de ces médicaments quant à un effet dit « structurant » pour la prise en charge. Soit. Si l’argument est recevable, la décision de la ministre apparaît comme la mauvaise réponse à une bonne question. Il est aberrant de se rendre chez son médecin pour que celui-ci observe la survenue d’effets secondaires d’un médicament inefficace. Et il suffit de remonter le temps pour s’apercevoir que de semblables reculades se sont produites pour d’autres médicaments, au moment de procéder à leur déremboursement.

    Deux fois, déjà, une cotation en service médical rendu « insuffisant » a été adoptée, en pure perte, pour un médicament. En 1999, la Commission de la transparence conclut à un SMR « insuffisant » pour… le Médiator. Le ministre « omet » de dérembourser cet antidiabétique. On connaît la suite, le scandale sanitaire survenu en 2009. Outre les milliers de victimes, mortes ou gravement blessées, c’est tout le système de surveillance sanitaire qui s’est retrouvé montré du doigt. Il a été en partie revu depuis. De nouvelles règles ont été fixées pour rendre les évaluations des médicaments plus transparentes et mieux tenir compte des conflits d’intérêts. Cependant, la confiance des citoyens dans leur système sanitaire a été entamée, et pour longtemps. Ne pas avoir déremboursé le Mediator en 1999 s’est donc révélé, pour le moins, un mauvais calcul politique…

    Des médicaments contre l’hypertension artérielle bientôt déremboursés

    Plus près de nous, en avril 2015, les médicaments contre l’hypertension artérielle contenant de l’olmésartan, les plus courants, ont été dégradés en SMR « insuffisant ». En effet, ils font courir le risque d’un effet secondaire rare mais très grave, l’entéropathie. Il s’agit d’une affection du tube digestif qui entraîne de fortes diarrhées et la perte de plusieurs dizaines de kilos. Un délai d’un an a été fixé de manière à ce que les patients concernés puissent se voir prescrit un autre médicament de la même classe n’ayant pas cet effet indésirable. Cependant, l’information est passée totalement inaperçue et ceux-ci continuent à être prescrits.

    Cette absence de réaction est tout bénéfice pour les firmes pharmaceutiques. Mieux, elles en ont même tiré argument pour demander et obtenir un délai supplémentaire ! Deux d’entre elles, Menarini et Daiichi Sankyo, ont en effet déposé un recours devant le Conseil d’État. La plus haute juridiction administrative a conclu que si ces médicaments n’ont pas été déprescrits comme attendu, c’est qu’ils sont encore nécessaires. Elle a donc décidé de retarder leur déremboursement, prévu initialement pour le 3 juillet 2016, au 2 janvier 2017. Six mois de bénéfices gagnés pour les fabricants. Et six mois de risques qu’on sait pourtant évitables, pour des patients qui prennent encore ce traitement actuellement.

    Décréter un SMR « insuffisant » est donc, en soi, un signal fort adressé tant aux médecins qu’à leurs patients. Ces deux publics devraient être informés largement quand un tel déclassement survient. Les patients ou leurs familles doivent aussitôt demander à ce que ces médicaments soient arrêtés. Et les médecins, déprescrire.

    La position étonnante de Xavier Bertrand

    Pour en revenir aux anti-Alzheimer, le dossier n’a pas fini de réserver des surprises. Ainsi, de la position du président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand. Déjà, en 2011, l’ancien ministre de la Santé avait affirmé qu’il maintiendrait le remboursement de ces médicaments même s’ils étaient classés en SMR « insuffisant ». Il vient de réaffirmer cette position via son compte Twitter :

    « Je reste opposé à ce déremboursement. Les patients victimes d’Alzheimer doivent être pris en charge à 100 %. »

    Xavier Bertrand est-il mal informé sur les risques inutiles liés à ces médicaments ? Il a manifestement oublié, en tout cas, les engagements pris par le ministère de la Santé alors qu’il était en fonction, en 2007. Le plan solidarité grand âge 2007-2012 prévoyait en effet une enveloppe de 510 millions d’euros sur 5 ans pour atteindre, dans les établissements accueillant des patients Alzheimer, le ratio d’un professionnel pour un résident. Car tant que les scientifiques n’ont pas mis au point des médicaments efficaces, c’est d’attention dont les malades ont besoin. Or l’attention, c’est du temps. Et le temps, c’est du personnel.

    Rêvons un peu : et si l’argent économisé sur les médicaments inutiles pour combattre Alzheimer servait à financer du temps utile passé par les soignants auprès des patients ?

    Nous ne sommes pas dans l’utopie, puisque la Cour des comptes a indiqué la voie dès février 2013 :

    « Les financements qui sont consacrés [à ces médicaments] pourraient être, le cas échéant, affectés à d’autres priorités, comme la recherche ou l’accompagnement des malades et de leurs aidants. »

    Davantage d’aides-soignantes auprès des malades

    Concrètement, comment un tel transfert pourrait-il être réalisé ? Une fois le déremboursement des anti-Alzheimer adopté par décret, le ministère rédigerait un correctif de la loi de financement de la sécurité sociale. L’économie réalisée sur les médicaments, soit 150 millions d’euros sur l’année, serait basculée dans la ligne comptable des personnels en établissements d’hébergement pour les personnes agées (EHPAD). Un tel montant correspond aux salaires en équivalent temps plein (ETP) de 7 000 employés, qui pourraient être des aides-soignantes ou des aides médico-psychologiques en début de carrière.

    Sans entrer dans les détails, le coût d’un tel poste est d’environs 30 000 euros par an. Sachant que ces emplois sont financés à 70 % par l’Assurance maladie – le reste par les régions –, un rapide calcul permet de dire que le montant économisé sur les médicaments permettrait un recrutement dans presque chacun des 7334 EHPAD de France…

    Je ne fais que reprendre ici l’idée émise par mon confrère Philippe Masquelier, ancien président du Formindep, collectif qui défend l’information médicale indépendante. Médecin coordonnateur en EHPAD, il avait constaté en 2013, après la précédente réévaluation des anti-Alzheimer, que la baisse de leur prix conjuguée à la baisse des prescriptions avait déjà permis une économie de plus de 130 millions d’euros.

    Une politique de santé digne de ce nom ne consiste pas en un empilement plus ou moins hasardeux de mesures ponctuelles. En prenant la décision de maintenir le remboursement des anti-Alzheimer, la ministre montre qu’elle ne tient aucun compte de la loi de protection sanitaire née du scandale du Médiator, visant justement à protéger les patients contre des médicaments inutiles et dangereux. Elle n’applique pas non plus les règles de bonne gestion des conflits d’intérêts. Car en agissant contre l’avis de l’autorité indépendante qu’est la HAS, la ministre s’incline, de fait, face à des lobbys financés par les firmes pharmaceutiques.

    En tout état de cause, l’avis de la HAS constitue pour les médecins un permis pour déprescrire ces médicaments.

    The Conversation

    Philippe Nicot, médecin généraliste enseignant, Université de Limoges

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