Les forêts tropicales, des « puits de carbone » hautement vulnérables


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  • Les forêts tropicales jouent un rôle essentiel en agissant comme des puits de carbone dans le changement climatique. Mais les forêts tropicales sont très menacées, car les pays, qui en compte le plus, manquent d’une volonté politique, mais également d’une absence de cadres afin de les protéger. Le cas de Madagascar est parmi les plus préoccupants.


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    Menace sur les forêts tropicales qui fonctionnent comme des puits de carbone. La protection de ces forêts à Madagascar est une priorité
    Vue sur la forêt tropicale humide de la Montagne d’ambre dans le nord de Madagascar. Cette forêt pourrait être fortement impactée par le changement climatique. G. Vieilledent/Cirad, Author provided

    Ghislain Vieilledent, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)

    Les forêts tropicales jouent un rôle important dans la régulation du climat à l’échelle mondiale en constituant des « puits de carbone » : elles absorbent, via la photosynthèse, le CO2 de l’atmosphère et le conserve sous forme de biomasse (le bois).

    Elles stockent aujourd’hui environ 40 % du carbone terrestre (incluant biomasse végétale et sol), tandis que la déforestation tropicale contribue à hauteur de 15 % environ aux émissions de CO2 dans l’atmosphère. Le récent Accord de Paris, adopté lors de la COP21 en décembre 2015, a inclus la conservation des forêts tropicales comme un moyen de lutte contre les changements climatiques, à travers notamment le programme REDD+.

    Une grande vulnérabilité

    Si l’on parle régulièrement de la déforestation tropicale et de ses conséquences sur la biodiversité et les émissions de CO2, la question de la vulnérabilité des forêts tropicales face aux changements climatiques – et du maintien de leur capacité à stocker du carbone – est moins souvent abordée. Les chercheurs qui s’y intéressent étudient ces phénomènes à l’aide de modèles climatiques couplés à des modèles de dynamique de végétation, appelés « modèles du système terre ». Ce sont ces modèles qu’utilise le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) pour prédire l’évolution du climat suivant différents scénarios d’émissions et de concentration de CO2 dans l’atmosphère.

    Carte des forêts tropicales humides. Ces forêts jouent un rôle majeur dans la régulation du climat en absorbant le CO₂ de l'atmosphère et en le stockant sous forme de biomasse. Wikipédia, CC BY-SA

    Carte des forêts tropicales humides. Ces forêts jouent un rôle majeur dans la régulation du climat en absorbant le CO₂ de l’atmosphère et en le stockant sous forme de biomasse. Wikipédia, CC BY-SA

    Concernant l’effet du changement climatique sur la végétation, deux points sont à considérer : l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère et la modification du climat (température et précipitations).

    Les modèles du système terre s’appuient sur des processus écophysiologiques qui considèrent qu’une augmentation de CO2 dans l’atmosphère augmente l’efficacité de la photosynthèse et la fixation du carbone : on parle d’« effet de fertilisation du CO2 ». La plupart des modèles du système terre estiment que cet effet de fertilisation du CO2 compense la baisse de croissance des plantes provoquée par l’augmentation moyenne des températures associée aux changements climatiques. Certaines études récentes ont ainsi montré que les forêts tropicales devraient être en mesure de résister aux changements climatiques – on parle de « résilience des forêts tropicales » – et qu’elles continueraient ainsi à exercer leur rôle de puits de carbone au moins jusqu’à l’horizon 2100.

    Un effet de fertilisation du CO2 discutable

    Si l’hypothèse d’une fertilisation du CO2 est forte pour rendre compte de la résilience des forêts tropicales, elle est néanmoins discutable en conditions naturelles. L’effet de fertilisation du CO2 a bien été démontré sur le court terme, dans le cadre de dispositifs expérimentaux installés dans des plantations ou des forêts naturelles en milieu tempéré, mais aucune observation d’une augmentation des stocks de carbone suite à un enrichissement de l’atmosphère en CO2 n’a encore été réalisée en forêt tropicale. Un premier dispositif expérimental a toutefois été mis en place en 2013 près de Manaus en Amazonie.

    Cet effet de fertilisation est discutable principalement pour trois raisons. Premièrement, une croissance plus rapide sous l’effet de l’augmentation du CO2 peut conduire à une surmortalité des arbres, mourant plus jeunes. Sur le long terme, on n’observerait donc pas d’augmentation des stocks de carbone à l’échelle de l’écosystème forestier.

    Il se peut, deuxièmement, que le CO2 ne soit pas le facteur-limitant de la croissance des arbres en forêt tropicale. D’autres éléments, comme l’eau et les nutriments du sol (notamment l’azote et le phosphore), sont essentiels à la photosynthèse. S’ils ne se trouvent pas en quantité suffisante, une augmentation de CO2 n’aura pas d’impact sur la croissance des arbres.

    Troisièmement, et c’est le point le plus important, la niche des espèces d’arbres – qui détermine les conditions dans lesquelles l’espèce peut survivre – ne se réduit pas aux facteurs leur permettant de photosynthétiser et fixer du carbone. Il faut aussi que l’espèce puisse résister au stress climatique (épisodes de sécheresse, réduction de la saison de végétation), se défendre (des attaques d’insectes par exemple) et se reproduire (floraison et fructification synchronisées à la présence d’animaux/insectes pollinisateurs des fleurs ou disperseurs des graines). Autant d’éléments qui peuvent être fortement modifiés par les changements climatiques.

    Transport d’un arbre en forêt sèche épineuse (Madagascar) en vue de sa pesée pour l’estimation de sa biomasse. G.Vieilledent/Cirad, Author provided

    Transport d’un arbre en forêt sèche épineuse (Madagascar) en vue de sa pesée pour l’estimation de sa biomasse. G.Vieilledent/Cirad, Author provided

    Certains résultats récents remettent ainsi en cause cet effet de fertilisation ainsi que la possibilité de résilience. Une étude de grande ampleur menée sur les trois continents situés en zone tropicale (Bolivie, Cameroun et Thaïlande), a montré une absence d’accélération de la croissance des arbres suite à l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère pour la période allant de 1850 à nos jours. On a également observé une diminution de la capacité de la forêt tropicale amazonienne à stocker du carbone depuis les années 1980.

    Enfin, des phénomènes de mortalité en masse des arbres sont actuellement observés à divers endroits du globe. Cette mortalité peut être associée soit à des épisodes de sécheresse conduisant à des phénomènes de cavitation (embolie gazeuse empêchant la sève de circuler dans l’arbre) ou à des attaques d’insectes ravageurs dont les populations explosent sous l’effet de l’augmentation des températures (voir à ce propos le cas du bostryche typographe qui menace les peuplements d’épicéa dans les forêts de montagne de moyenne altitude en France).

    Diminution du carbone forestier

    Sans l’effet de fertilisation du CO2, les modèles du système terre prédisent une large diminution du stock de carbone des végétaux en zone tropicale. Une récente étude sur les forêts tropicales de Madagascar montre également que les stocks de carbone forestiers devraient diminuer sous l’effet du changement climatique.

    Cette étude ne fait pas l’hypothèse d’un effet de fertilisation du CO2 et s’appuie sur des modèles appelés « modèles d’enveloppe bioclimatique ». Ces derniers sont plus simples que les modèles du système terre et s’appuient sur des hypothèses plus écologiques qu’écophysiologiques pour expliquer l’évolution du stock de carbone en forêt tropicale en lien avec les changements climatiques.

    Mesure du diamètre d’un arbre en vue de l’évaluation des stocks de carbone d’une forêt tropicale humide du massif du Tsaratanana (Madagascar). G.Vieilledent/Cirad, Author provided

    Mesure du diamètre d’un arbre en vue de l’évaluation des stocks de carbone d’une forêt tropicale humide du massif du Tsaratanana (Madagascar). G.Vieilledent/Cirad, Author provided

    Ainsi, la diminution de la durée de la saison de végétation, l’augmentation de la température moyenne annuelle (+3,7 °C) et la diminution des précipitations annuelles (-107 mm) pourraient conduire à une diminution de 17 % (certaines prédictions allant jusqu’à – 24 %) du stock de carbone forestier d’ici à 2080. En forêt, les arbres et les espèces de plus petite taille seraient favorisés et sélectionnés sous l’effet du climat. L’étude identifie également des points de basculement : au-dessus d’une température moyenne annuelle de 21 °C et en dessous de 1 100 mm de précipitations par an, le stock de carbone des forêts tropicales humides pourrait s’effondrer.

    Le risque d’emballement des émissions

    Concernant la déforestation engendrée par les activités humaines à Madagascar (l’agriculture sur brûlis, l’élevage, l’utilisation du bois énergie, l’exploitation minière ou l’exploitation illégale de bois principalement), elle conduirait à une perte d’environ 30 % du stock de carbone forestier sur la même période. En comparaison, l’effet des changements climatiques n’est donc pas négligeable. À terme, on pourrait observer un emballement du phénomène : au lieu de stocker du carbone, les forêts seraient émettrices de CO2 et contribueraient à l’accélération du changement climatique qui aurait un effet encore plus fort sur les forêts.

    Dans un monde toujours plus chaud et plus sec, il y a un risque que les forêts tropicales humides que nous connaissons aujourd’hui ressemblent davantage à des savanes arborées qu’à des forêts impénétrables où arbres, mousses et fougères s’épanouissent dans un nuage de brume. Il ne s’agit donc plus seulement de réussir à conserver les forêts et à augmenter leur surface à l’échelle planétaire pour espérer contenir le changement climatique en augmentant les puits de carbone. Il devient également essentiel de limiter rapidement le changement climatique en réduisant les émissions de CO2 à la source. Cela passe par un ensemble de mesures, comme la diminution de l’usage des énergies fossiles, le développement des énergies renouvelables, la diminution de la consommation et la mise en application rapide des décisions adoptées lors de l’Accord de Paris.

    The Conversation

    Ghislain Vieilledent, Chercheur en écologie et statistique appliquée, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)

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