Baccalauréat : pourra-t-on secouer le géant qui dort ?


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  • Le Baccalauréat doit être réformé en profondeur si on veut que le système éducatif continue de remplir son rôle. Et il ne faut pas se leurrer, l’obtention du BAC n’est pas une garantie pour accéder aux meilleures filières de l’étude supérieure.


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    Le Baccalauréat doit être réformé en profondeur si on veut que le système éducatif continue de remplir son rôle.

    Charles Hadji, Université Grenoble Alpes

    Rétabli par Napoléon en 1808, le baccalauréat vient d’avoir 208 ans. C’est un bel âge. N’est-il pas temps de s’interroger sur son utilité ? Et encore plus sur son sens ?

    Cela paraît d’autant plus urgent qu’il touche désormais un nombre considérable de lycéens, et qu’il est devenu une énorme machine. Mais une machine qui sert à quoi ?

    Un géant qui dort…

    Comme le bois dans la chanson des crapauds, le bac ressemble aujourd’hui à un « géant qui dort ». Il est à la fois un monument imposant, et une lourde machine. Symbole de la sortie de l’adolescence et de la conquête de l’autonomie, solidement ancré dans l’imaginaire collectif comme rite (républicain) de passage, il a acquis le statut et la stature d’un « monument national », auquel il est devenu très difficile de toucher. Et cela, tout d’abord, autant à cause de sa longue histoire, que de sa taille actuelle.

    Depuis 1808, des modifications ont été apportées, des nouveautés sont apparues : bac ès sciences, épreuves écrites, mentions, épreuves de langues vivantes, apparition de séries, création de nouveaux bacs (technologique en 1968, professionnel en 1985). Mais le nom s’est maintenu, pour devenir une véritable « marque ».

    Dans le même temps, on a assisté à une explosion du nombre de bacheliers (31 en 1808 ; 80 710 candidats en 1960, 649 506 en 2000, 700 000 en 2016) ; et à une augmentation impressionnante de la proportion des bacheliers dans une classe d’âge (1 % en 1886, 2,5 % en 1931, 5,3 % en 1951, 15,4 % en 1967, 25 % en 1975, 62,7 % en 1995, 77,2 % en 2015).

    Pour faire passer cet examen, il a fallu mettre sur pied et faire fonctionner un dispositif gigantesque : en 2016, pour les 700 000 candidats, répartis en 4200 centres d’examen, et pour un coût estimé à 80 euros par candidat, mobilisation de 170 000 correcteurs et examinateurs, correction de 4 millions de copies, portant sur environ 3000 sujets.

    A un tel niveau de gigantisme, malgré l’importance et la pertinence des précautions prises, les risques de « couacs » sont nécessairement très élevés. Ces dysfonctionnements (erreurs dans les sujets, fuites des sujets sur Internet, copies perdues ou volées, examinateurs ou correcteurs absents, etc.) viennent alors alourdir la barque d’un système d’évaluation dont les défauts sont nombreux.

    … et qui mériterait d’être secoué

    Pour bon nombre d’observateurs, les défauts du dispositif sont, en effet, patents. A sa lourdeur, sa rigidité, son coût, et sa démesure, il faut ajouter de graves inconvénients d’ordre pédagogique.

    La prégnance de l’examen terminal induit un « teach to the test » qui transforme un moyen (de contrôler les connaissances construites grâce à l’enseignement secondaire) en fin, et pèse lourdement sur les conditions et le sens des apprentissages scolaires.

    Le lycée n’est plus d’abord un lieu dévolu à l’éducation et à l’instruction, il est essentiellement un lieu où l’on prépare le bac… en « bachotant » ! L’essentiel est de posséder ce « parchemin », et l’on recherche le lycée qui offre les meilleures chances de l’obtenir. On néglige alors le fait qu’un examen ponctuel a nécessairement une dimension aléatoire. Et on ne s’émeut pas de cet autre fait que l’organisation de l’examen ampute de près d’un mois le troisième trimestre de tous les lycéens.

    Bon an mal an, le système perdure, et aucune réforme d’envergure n’a pu être menée à bien, comme si une espèce de fatalité pesait sur les tentatives de réformer. Comme si cet examen sacralisé avait en lui quelque chose lui permettant d’échapper à toute réforme, et qui, par-delà son histoire et sa taille, permettrait de comprendre pourquoi il s’avère si difficile d’y toucher.

    Une étiquette unique, mais une double fonction

    Comment expliquer l’attachement à un tel dispositif de contrôle terminal, lourd et mal adapté, et dont la mise en œuvre fait perdre aux élèves 8 % d’une année scolaire ?

    Nous pensons qu’il faut aller en chercher la raison du côté de sa nature d’examen « Janus », à double visage.

    Car, depuis sa création, le baccalauréat possède deux caractéristiques fondamentales. L’unité de la « marque » cache la dualité des fonctions. Délivré à l’issue d’un contrôle terminal organisé nationalement, il est un instrument d’évaluation certificative des connaissances. Mais il est, en même temps, un diplôme donnant droit aux études supérieures. Certificat de fin d’études secondaires, et premier grade universitaire, il est censé à la fois évaluer avec pertinence les acquis de l’enseignement secondaire, et constituer une carte d’entrée légitime dans l’enseignement supérieur.

    Or, d’une part, on peut douter qu’il assure de façon convenable sa première fonction. Et d’autre part, on peut faire l’hypothèse que s’il n’est pas davantage remis en question pour cela, c’est parce que sa deuxième fonction, d’examen d’entrée dans l’enseignement supérieur, repose sur une double fiction, qui arrange finalement bien du monde, en dispensant d’affronter des questions socialement brûlantes : la fiction d’un baccalauréat unique et la fiction d’une absence de sélection entre le secondaire et le supérieur.

    La fiction du bac unique

    La première fiction est celle de l’unité du bac. Car, non contente de faire oublier la dualité des fonctions, l’unicité du nom cache l’existence de fait d’une pluralité de bacs. Bac général, bac technologique, et bac professionnel ne sont pas la même chose.

    Le premier est bicentenaire. Les deux autres sont de création récente. Ils ne sont pas préparés par des publics identiques.

    Par exemple, les lycées professionnels ne comptent que 12 % d’enfants de cadres, contre 60 % d’enfants d’ouvriers (Le Monde du 9 juin 2016). 70 % d’enfants d’enseignants et de cadres accèdent au bac général, contre 20 % pour les enfants d’ouvriers. Ces bacs ne donnent pas les mêmes chances de réussite dans le supérieur. Pour les bacheliers technologiques qui s’inscrivent dans les filières universitaires générales, et encore plus pour les bacheliers professionnels qui font de même (7 % en 2006, 33 % en 2014), les taux de réussite sont faibles (3,5 % en première année universitaire pour les bacs pro). En 2012, la probabilité de sortir du supérieur sans diplôme était de 9 % pour les bacheliers généraux, de 29 % pour les titulaires d’un bac techno, et de 56 % pour les bacheliers professionnels. Si bien que, finalement, les trois bacs n’ont pas la même valeur sociale. L’égale dignité des trois voies n’est encore qu’un vœu pieux.

    Certes, il ne saurait être question de se lancer dans une campagne de dénigrement des bacs pro. D’après une enquête récente du Céreq, le diplôme commence à tenir ses promesses. Et des pistes sont aujourd’hui proposées pour renouveler la voie professionnelle.

    Mais force est de constater que la même étiquette cache des réalités différentes en termes de parcours scolaire et de bouquets de compétences maîtrisées, et que cela n’arme pas de la même façon pour l’avenir tant scolaire que professionnel. On ne gagne rien à cacher cette réalité. Mieux vaudrait en prendre acte, pour affronter sérieusement le problème de l’orientation/sélection à l’entrée de l’université.

    La fiction de l’absence de sélection

    Étrange proximité des mots : le bac est un bateau à fond plat qui sert à passer d’une rive à l’autre. La seconde fiction sur laquelle repose le bac comme diplôme est que sa possession ouvre l’accès à tous les ports de l’autre rive. Que rien ne peut interdire à celui qui en est titulaire d’entamer les études supérieures de son choix. D’où le refus systématique de la sélection, considérée comme un crime antidémocratique.

    Mais l’absence de sélection entre le secondaire et le supérieur n’est qu’une fiction. Les classes préparatoires sélectionnent les meilleurs élèves des lycées. Les bacheliers professionnels devraient pouvoir accéder aux STS et aux IUT, qui proposent un bon accompagnement pédagogique, et offrent de bonnes perspectives d’insertion professionnelle. Mais ce sont des filières verrouillées par une sélection, d’où ils sont écartés de fait par les bacheliers généraux : la plupart des demandes de BTS présentées au système d’admission post-bac (APB) en 2014 ont été refusées.

    Si bien qu’il reste aux bacheliers ainsi détournés des filières supérieures les plus porteuses et les plus valorisées, la « liberté » de s’inscrire dans les filières universitaires générales. Celles qui offrent des études longues destinées à des ex-lycéens possédant un bagage qui, précisément, leur fait défaut ! Orientation par défaut, ou par hasard, et sélection par l’échec, valent-elles mieux qu’une « régulation » clairement affichée et organisée ?

    Tant que l’on n’aura pas eu le courage d’affronter la question de la régulation des passages du secondaire au supérieur, le bac restera un bien commode (pour la société qui ne veut pas regarder la réalité en face), mais trompeur, sauf-conduit pour les étudiants le plus touchés par la sélection : ceux qui ont cru pouvoir lui échapper, et à qui on a laissé croire que cela était possible. Et, pour l’instant, nous en sommes, en quelque sorte, réduits à conclure : le bac sert surtout de ligne Maginot contre les questions qui fâchent…

    The Conversation

    Charles Hadji, Professeur émérite (Sciences de l’education), Université Grenoble Alpes

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