La haine décomplexée à la télévision de service public


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  • La récente venue d’Eric Zemmour sur le plateau de C’à vous sur France 5 montre que les discours de haine sont autorisés du moment que cela permet de stigmatiser une partie de la population sans en subir les conséquence.


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    La récente venue d'Eric Zemmour sur le plateau de C'à vous sur France 5 montre que les discours de haine sont autorisés du moment que cela permet de stigmatiser une partie de la population sans en subir les conséquence.

    Arnaud Mercier, Université Paris II Panthéon-Assas

    La présentatrice : « Admettez quand même que les Juifs ne sont pas tous riches et que cette idée est un vieux fantasme qui a justifié bien des massacres dans le passé. »
    L’invité sur le plateau : « Ça c’est vous qui le dites. »
    La présentatrice : « Ce n’est pas vrai ? »
    L’invité sur le plateau : « Non ! » Et de poursuivre un peu plus loin dans l’interview : « Vous savez bien que LE juif pauvre n’existe pas. Y a simplement des gens un peu moins riches que d’autres, et ces derniers savent qu’ils ne sont pas de bons juifs. […] « Les juifs affairistes millionnaires sont considérés par tous les juifs, qu’ils le disent ou qu’ils ne le disent pas, comme de bons juifs ».

    La présentatrice : « Admettez quand même que les homosexuels ne sont pas tous pédophiles et que cette association entre une orientation sexuelle et une perversion est un fantasme destiné à créer un amalgame culpabilisateur ».
    L’invité sur le plateau : « Ça c’est vous qui le dites ».
    La présentatrice : « Ce n’est pas vrai ? »
    L’invité sur le plateau : « Non ! » Et de poursuivre un peu plus loin dans l’interview : « Vous savez bien que l’homosexuel sain ça n’existe pas. Y a simplement des gens un peu moins pervers que d’autres, et ces derniers savent qu’ils ne sont pas de bons homosexuels. […] « Les homosexuels violeurs de petits garçons sont considérés par tous les homosexuels, qu’ils le disent ou qu’ils ne le disent pas, comme de bons homosexuels ».

    La présentatrice  : « Admettez quand même que les Français ne sont pas tous des cons et que cette généralisation est abusive, surtout avec plus de 60 millions d’habitants ! »
    L’invité sur le plateau : « Ça c’est vous qui le dites ».
    La présentatrice : « Ce n’est pas vrai ? »
    L’invité sur le plateau : « Non ! » Et de poursuivre un peu plus loin dans l’interview : « Vous savez bien que LE Français intelligent est une lubie. Y a simplement des gens un peu moins cons que d’autres, et ces derniers savent qu’ils ne sont pas de bons Français. […] « Les Français débiles sont considérés par tous les Français, qu’ils le disent ou qu’ils ne le disent pas, comme de bons Français ».

    La présentatrice : « Admettez quand même que les noirs ne sont pas tous des fainéants qui ne pensent qu’à faire la sieste ».
    L’invité sur le plateau : « Ça c’est vous qui le dites ».
    La présentatrice : « Ce n’est pas vrai ? »
    L’invité sur le plateau : « Non ! » Et de poursuivre un peu plus loin dans l’interview : « Vous savez bien que LE noir est congénitalement paresseux, à cause du soleil sans doute. Y a simplement des gens un peu moins fainéants que d’autres, et ces derniers savent qu’ils ne sont pas de bons noirs. […] « Les noirs qui tirent au flanc en planqués sont considérés par tous les noirs, qu’ils le disent ou qu’ils ne le disent pas, comme de bons noirs ».

    La présentatrice : « Admettez quand même que les journalistes ne sont pas tous des corrompus et que l’écrasante majorité cherche à faire honnêtement son travail ».
    L’invité sur le plateau : « Ça c’est vous qui le dites ».
    La présentatrice : « Ce n’est pas vrai ? »
    L’invité sur le plateau : « Non ! » Et de poursuivre un peu plus loin dans l’interview : « Vous savez bien que LE journaliste honnête est une vue de l’esprit, correspondant à un idéal inatteignable. Y a simplement des journalistes un peu moins corrompus que d’autres, et ces derniers savent qu’ils ne sont pas de bons journalistes. […] « Les journalistes payés par leurs sources et à la botte des pouvoirs économiques et politiques sont considérés par tous les journalistes, qu’ils le disent ou qu’ils ne le disent pas, comme de bons journalistes. »

    Ces propos vous font bondir ?

    Vous les trouvez antisémites, homophobes, anti-français, racistes, portant atteinte à la dignité d’une profession ? Vous trouvez ces propos marqués au sceau de l’amalgame, véhiculant des stéréotypes ? Ils sont diffamatoires, pouvant tomber sous le coup de la loi ?

    Vous pensez que ces discours sont haineux, qu’ils essentialisent arbitrairement tous les individus partageant un trait d’appartenance commune et leur assignent donc à tous une identité et un point de vue unitaire ? Vous considérez qu’on touche le degré zéro de l’analyse, que ces propos ne valent pas mieux que le pire des propos entendus dans le pire des bistrots par le pire des ivrognes aussi assoiffé de haine que de bière ?

    Vous vous demandez si celui qui les tient n’expose pas ce faisant une névrose obsessionnelle relevant davantage de la psychiatrie que de l’analyse politologique ou sociologique ? Vous reniflez dans ce propos le parfum rance des années 30, quand il était de bon ton et audible d’utiliser les tribunes offertes par les médias de l’époque pour étaler au grand jour, sur le mode du pamphlet ou du dessin de presse hypercaricatural sa haine du juif, du communiste, de la ripoublique, etc. ?

    Ils méritent pourtant un plateau télé

    Anne-Sophie Lapix, présentatrice de l’émission « C’ à vous ». France 5/DR

    Anne-Sophie Lapix, présentatrice de l’émission « C’ à vous ». France 5/DR

    Pourtant, une chaîne de service public (France5) dans une émission de grande écoute « C à vous », avec une journaliste de grand talent Anne-Sophie Lapix, invite le 6 septembre de l’an de grâce 2016, quelqu’un pour tenir ces propos, lui offrir sur un plateau une tribune. Oh ! bien sûr, la journaliste témoigne par ses questions de son aversion pour les propos tenus, mais elle lui a néanmoins offert une tribune, alors qu’elle savait à l’avance (et nous aussi d’ailleurs) ce qu’il allait dire, pardon, ce qu’il allait vomir. Est-ce parce qu’il faut substituer aux mots juifs, noirs, Français, homosexuels, journalistes, le mot musulman que le propos devient entendable ? Acceptable ? Digne d’avoir une tribune rare où bien des esprits fins, lettrés, porteurs d’une vraie analyse, n’auront jamais l’honneur de figurer ?

    En dépit de la répugnance qu’ils font naître, citons brièvement les propos originaux :

    « Le musulman modéré ça n’existe pas. Y a simplement des gens qui appliquent à la lettre et d’autres qui n’appliquent pas à la lettre, et [ces derniers] savent qu’ils ne sont pas de bons musulmans. » ; « Les soldats du djihad sont considérés par tous les musulmans, qu’ils le disent ou qu’ils ne le disent pas, comme de bons musulmans ».

    Amalgames et islamophobie

    Mais que se passe-t-il donc dans notre société française, pour qu’on en soit arrivé à considérer qu’un islamophobe patenté qui généralise à outrance, qui déverse de la haine en lieu et place d’une analyse compréhensive, qui interprète les silences, M.Zemmour, mérite de faire la tournée des plateaux pour assurer la promotion de son dernier livre écrit avec l’encre du mépris et de la haine ?

    Bien sûr, il y a les attentats, revendiqués par des musulmans qui prétendent agir au nom d’Allah. Mais chacun sait et a pu voir que l’écrasante majorité des musulmans de France (et d’ailleurs) se désolidarisaient totalement de ce type de pratique. Ils en sont, d’ailleurs, victimes eux-mêmes, à Paris à Nice ou ailleurs. Pour ne rien dire de la Syrie et de l’Irak, où la majorité des victimes des fanatiques de Daech sont musulmanes.

    Des passages du Coran et des textes sacrés qui l’entourent ouvrent la porte à une interprétation littérale haineuse et guerrière chez des esprits faibles, assoiffés de sang, c’est une vérité que chacun doit regarder lucidement. Faire comme s’il n’y avait pas une écrasante majorité de musulmans qui lisent autrement le Coran, de façon pacifique, est un mensonge, un aveuglement.

    La légitime critique des religions

    Qu’au nom de tous les Dieux, de toutes les religions, on ait déjà tué et massacré, c’est une vérité historique, et la Bible est loin d’être épargnée par ce constat. Le philosophe Voltaire (1694-1778) a dénoncé sans relâche toutes les formes d’intolérance, d’injustice et de guerres qui ont été menées au nom des religions. Il a souligné combien les religions qui se disent porteuses d’amour et de fraternité ont servi à justifier bien des massacres de son époque.

    L’émission du 6 septembre avec Eric Zemmour en « guest star ». YouTube

    L’émission du 6 septembre avec Eric Zemmour en « guest star ». YouTube

    Avec ironie, il examine la responsabilité du christianisme dans les horreurs de l’époque : « Voyons maintenant si Jésus-Christ a établi des lois sanguinaires, s’il a ordonné l’intolérance, s’il fit bâtir les cachots de l’Inquisition, s’il institua les bourreaux des autodafés. Il n’y a, si je ne me trompe, que peu de passages dans les Évangiles dont l’esprit persécuteur ait pu inférer que l’intolérance, la contrainte sont légitimes ».

    D’un point de vue philosophique, politique, laïque, on a bien le droit d’instruire le procès de la religiosité, des idéologies religieuses, de paroles dites révélées dont la sacralité même les rend non critiquables, alors qu’on peut disserter sur leur historicité, vouloir les remettre dans leur contexte de production, pointer leurs contradictions, leurs insuffisances, leurs intolérances. Cela n’a rien à voir avec une diarrhée logorrhéique haineuse qui n’apporte aucun substrat démonstratif, qui amalgame jusqu’à la nausée.

    L’examen de conscience du service public

    Ce que la société française ne tolère plus globalement concernant les juifs, les noirs, les femmes ou les homosexuels par exemple, ne saurait être toléré pour les musulmans (même sous prétexte d’attentats dits islamistes). L’idéal d’esprit de débat ne saurait tout justifier. Ce serait à l’honneur du service public de télévision de s’en convaincre.

    Et qu’on ne vienne pas nous parler de censure. Voilà des années que M.Zemmour a les honneurs de tous les plateaux, de toutes les tribunes, qu’il publie des livres (qui se vendent bien, dit-on). Mais de deux choses l’une : ou bien des propos orduriers et haineux n’ont rien à faire sur un plateau de service public, ou s’ils ont droit de cité pour les musulmans, il faut alors inviter aussi, par esprit d’équité, les antisémites notoires, les racistes patentés, les homophobes avérés, les névrosés de tout poil. On peut même aller les chercher directement à l’asile si d’autres délirants manquaient encore à l’appel.

    Service public regarde toi ! Service public réveille toi ! Même si le questionnement journalistique n’offre prise à aucun doute, la seule invitation pour tenir de tels propos nauséabonds incitants à la discorde nationale, au tri entre les bons citoyens et les mauvais, est une complaisance coupable qui devrait justifier un examen de conscience.

    Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse, Université Paris II Panthéon-Assas

    This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

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