Madagascar : Arrêtons de vénérer Tsiranana


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  • De nombreux politiciens malgaches se revendiquent de Philibert Tsiranana, mais c’est davantage un fantasme par rapport à ce qui a été vraiment son règne. Et aux morts, on ne doit que la vérité.


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    De nombreux politiciens malgaches se revendiquent de Philibert Tsiranana, mais c'est davantage un fantasme par rapport à ce qui a été vraiment son règne. Et aux morts, on ne doit que la vérité.

    C’est fascinant à quel point le passé revêt les habits du présent et du futur. Et ceux qui se revendiquent de ce passé, en espérant jouer sur la nostalgie des foules amnésiques, ne se rendent pas compte que si vous prenez les critères du passé, alors vous allez terminé dans le même désastre.

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    Siteny Randrianasoloniaiko est devenu le président du PSD (Parti Social-Démocrate), un parti historique puisque c’était celui de Philibert Tsiranana. Tsiranana est souvent cité par les politiciens malgaches comme un exemple et le “le père de l’indépendance”, mais quand on vous nomme président alors que l’administration coloniale est encore en place, pardonnez-moi, mais j’ai dû mal à trouver la notion de paternité ou d’indépendance.

    Et pour comprendre que Tsiranana, même s’il a fait de son mieux, n’est pas le meilleur président du pays, il est temps de remuer les sables historiques. Les mouvements anti-coloniaux commencent dès l’arrivée des français vers 1895, les rebellions et les affrontements sont nombreux. Et même si l’armée malgache ne fait pas le poids face à la puissance française, Gallieni aura dû mal avec l’insurrection larvaire et la conquête du territoire ne sera actée que vers 1905.

    Ce qu’il faut noter est que ces mouvements dataient avant l’arrivée des français ! Et on peut se poser la question, si les colons n’étaient pas encore là, pourquoi une partie des hommes battaient la campagne en pillant tout sur leur passage ? Le principal mouvement est celui des Menalamba et certains crétins se revendiquent d’en être aujourd’hui en espérant passer pour des combattants de la liberté. Les Menalamba ont beaucoup lutté contre les colons, mais ils luttaient tout autant contre la monarchie en place. Puis-qu’à l’époque, les esclaves sujets du roi devaient faire des travaux forcés et cela pouvait aller jusqu’à 4 jours par semaine comme une preuve de leur allégeance au roi. 3 jours seulement pour nourrir sa famille, on comprend que certains hommes préféraient faire l’école buissonnière.

    Quand les colons arrivent, ils apportent l’idée de la Révolution française avec eux. Les français n’ont jamais esclavagisé le peuple et en fait, ils libéreront plus de 500 000 andevos de leur statut. Comme ils voient une monarchie rigide au pouvoir, ils la décapitent ce qui fait que les merinas vont perdre tous leurs privilèges qui leur avaient permis de s’enrichir et de devenir une véritable caste oligarchique pendant des siècles. Le problème est que les français se rendent compte que ce travail forcé, c’est quand même bien pratique.

    Et donc, ils vont “libérer” les esclaves sur le papier, mais l’administration coloniale vont mettre en place le SMOTIG (Service de la main-d’œuvre pour les travaux d’intérêt général). Gallieni va le justifier en disant que les malgaches sont vraiment trop fainéants et qu’il faut les faire bosser pour devenir de “vrais sujets de la république”. Les mecs se rendant compte que la Révolution française émancipatrice, c’est quand même l’arnaque du siècle, décident de continuer leur lutte contre l’élite au pouvoir, avant c’était les merina nobles (Andriana, Hova et Mainty) et désormais, ce sera les blancs.

    Très rapidement, Gallieni se rend compte que la colonisation, c’est quand même une idée de merde. Il sait qu’il n’arrivera jamais à mater toute la population et les premières velléités d’indépendance apparaissent dès 1912. Elles prendront la forme de sociétés secrètes composés d’étudiants malgaches, issu de la noblesse puisque le reste de la population avait été maintenue dans l’illettrisme pour le maintien du pouvoir. Il ne faut jamais oublier que pendant le règne de Ranavalona I, quand les britanniques veulent alphabétiser toute la population, elle refuse net en réservant l’éducation à ceux qui travaillent au gouvernement (c’est à dire uniquement les nobles). Et on retrouve les mêmes merdes aujourd’hui, car seules les élites ont les moyens de se payer les études supérieures à l’étranger.

    La première société secrète connue est le VVS (Vy Vato Sakelika) qu’on peut traduire par le fer, la pierre et la revendication. Par la suite, des partis politiques commenceront à se former, mais l’administration coloniale refusera toute reconnaissance. Et le pire est que ces mouvements ne sont pas indépendantistes, mais assimilationnistes. Car l’une des pires saloperies de la colonisation sera le Code de l’Indigénat qui va considérer les habitants des colonies comme des citoyens de seconde zone comparé à ceux de la métropole.

    La grande libéralisation par la France après 1946 va permettre une vraie participation politique des malgaches. Raseta et Ravoahangy en 1946, créeront le premier parti politique à Paris, car ces deux hommes seront élus à l’Assemblée nationale française. Ce parti s’appellera MDRM (Mouvement démocratique de la rénovation malgache). Ce sera un parti pur merina avec une alliance avec la bourgeoisie malgache. Comme ils ont été lésé par la colonisation, alors ils veulent retrouver le pouvoir, non pas pour “redonner le pouvoir au peuple”, mais juste récupérer leurs privilèges et rien n’aurait changé pour la population.

    Les cotiers vont comprendre ce qui se trame et ils vont créer le PADESM (Parti des déshérités de Madagascar) qui sera étrangement et massivement soutenu par le pouvoir colonial. La raison en est simple. Les français savent que les Merinas vont garder leur rancune après l’indépendance et qu’ils tenteront de se débarrasser de toute trace française après l’indépendance.

    En sachant que de nombreux petits partis politiques sont communistes (Manandafy avait même créé un parti purement marxiste). Les français veulent assurer une transition en douceur en soutenant le PADESM qui est côtier. Les français avaient beaucoup utilisé les côtiers pour déboulonner les merina de la gestion du pays. Les alliés d’hier sont souvent ceux de demain !

    L’insurrection de 1947 va leur donner une occasion en or de se débarrasser du MDRM. L’administration française va mettre la responsabilité de cette insurrection sur ce parti et en profiter pour le décapiter, la plupart de ses membres seront arrêtés ou exécutés. Et comme par magie, le PADESM va se retrouver comme le seul parti digne de ce nom. L’indépendance arrivera, Tsiranana va créer un parti appelé le PSD qui est directement issu du PADESM. La boucle est bouclée et les français auront réussi une transition parfaite. En 1958, il sera le vice-président du gouvernement malgache et en 1959, une réforme constitutionnelle va le faire président.

    Les français s’en tiraient à bon compte, Tsiranana était leur poulain et les entreprises française, qui s’étaient enrichis pendant la colonisation, restèrent en place. Par exemple, la Société Générale est présente dans le pays depuis 1920… et elle est toujours là ! Et c’est pourquoi je ricane sournoisement quand Siteny Randrianasoloniaiko nous dit que c’est une fierté de reprendre le flambeau du PSD.

    Cela ne signifie pas que Tsiranana était un traitre, mais il était beaucoup trop proche de la France pour qu’il puisse diriger de manière souveraine. Pendant les premières années de son règne, il n’était pas rare que l’ambassadeur de France assiste au Conseil des Ministres… Et surtout, Tsiranana sera entouré par les pires crapules au sein de son gouvernement. Son règne ne sera que des luttes intestines et du clientélisme. Et ces luttes intestines vont se cristalliser à un point que Tsiranana devra se prononcer publiquement :

    J’avais constaté, au cours des dernières réunions du conseil des ministres, des désaccords entre mes ministres. Je ne puis admettre de telles zizanies. Je leur ai donné quinze jours pour se mettre d’accord. Voyant, lors de la dernière réunion, que ces malentendus persistaient, j’ai pris la décision de dissoudre le gouvernement… Je ne puis admettre que l’on n’ait pas constamment présent à l’esprit l’intérêt supérieur de la nation. C’est la seule chose qui doit compter…

    Et dans un journal de l’époque tenu par les jésuites, on peut avoir un résumé parfait de ce qui pose problème au pays :

    La crise ouverte pourrait aider à mieux comprendre que l’Etat ne se confond pas avec la nation et que c’est, en dernière analyse, à la nation de se prononcer, parce que c’est d’elle, et d’elle seule, que l’Etat doit tenir ses pouvoirs…

    La nation ou la légitimité est la même chose. A aucun moment, depuis le début des luttes anti-coloniales, on a entendu le peuple. Et c’est ce que je dis dans mon livre sur Madagascar est que la légitimité a été piétiné depuis 3 siècles allant de la monarchie jusqu’à l’époque actuelle.

    Et Siteny n’est pas le seul à revendiquer l’héritage de Tsiranana. On se souvient que pendant les 60 ans de l’indépendance malgache en 2020, le président Andry Rajoelina s’était baladé dans la Cadillac de l’ancien président. La décision de Siteny Randrianasoloniaiko de refaire le PSD peut indiquer qu’il va jouer sur le prisme ethnique côtier et merina. Et ces derniers s’en rendent compte puisque son Mihava Tour à Antananarivo a accouché d’une souris.

    On ne va pas critiquer que sa compagne vient de l’Europe de l’est, car cela ne nous regarde pas. Mais que son directeur de campagne soit un roumain et que son agence de communication soit française a le don de m’énerver. Comment peut-on revendiquer le fait de parler au nom du peuple quand ceux qui écrivent les discours sont des étrangers qui ne comprennent rien aux réalités et aux luttes historiques du pays.

    Il faudrait prévenir Siteny de se raccrocher au passé coute que coute, car en 1972, malgré un gouvernement en lambeaux, Philibert Tsiranana gagne les élections présidentielles de 1972 avec 99 % des voix ! Mieux qu’en Corée du Nord, mais la même année, les émeutes des étudiants vont le forcer à démissionner. J’espère que le PSD ne va pas subir le même sort que l’ancien…

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    Houssen Moshinaly

    Rédacteur en chef d'Actualité Houssenia Writing. Rédacteur web depuis 2009.

    Blogueur et essayiste, j'ai écrit 9 livres sur différents sujets comme la corruption en science, les singularités technologiques ou encore des fictions. Je propose aujourd'hui des analyses politiques et géopolitiques sur le nouveau monde qui arrive. J'ai une formation de rédaction web et une longue carrière de prolétaire.

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