Pourquoi le massacre des handicapés au Japon est-il passé inaperçu ?


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  • En juillet 2016, un homme a massacré 19 personnes handicapées à Tokyo. Est-ce que vous étiez seulement au courant de cette tuerie ? Les handicapés souffrent d’un paradoxe. Ils sont de plus en plus visibles, mais leur marginalisation est plus féroce que jamais.


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    En juillet 2016, un homme a massacré 19 personnes handicapées à Tokyo. Est-ce que vous étiez seulement au courant de cette tuerie ? Les handicapés souffrent d'un paradoxe. Ils sont de plus en plus visibles, mais leur marginalisation est plus féroce que jamais.

    Le 26 juillet 2016, un homme armé d’un couteau est entré dans Tsukui Yamayuriena, une maison pour les handicapés à la périphérie de Tokyo et il a tué 19 personnes et blessé 26 autres. Ensuite, il s’est rendu à la police en disant : C’est mieux que les handicapés disparaissent. En France, l’événement a été un peu médiatisé principalement parce que l’AFP avait fait une dépêche. Le Monde nous livre son analyse qu’on peut résumer par cette phrase : Tout lien avec l’islamisme radical exclu. Le cancer des médias contamine décidément beaucoup de monde…

    Les défenseurs des handicapés se sont exprimé face au dédain médiatique et public de cette tuerie. C’est la plus grande tuerie en masse au Japon depuis la Seconde Guerre mondiale et elle a reçu une attention infime par rapport aux tueries de Paris, de Nice, d’Orlando, de Kaboul ou de Bagdad. Carly Findlay, activiste pour les handicapés écrit qu’il n’y avait pas de Hashtag, pas d’indignation publique, même pas de prière. David Perry, un journaliste plaidant pour les droits des handicapés note ironiquement que l’attaque s’est produite un jour après l’anniversaire des Américains sur le Disabilities Act.

    Cette triste coïncidence est la preuve de l’ambivalence envers les handicapés. D’une part, ils sont de plus en plus visibles en les citant comme des inspirations pour les personnes en bonne santé. Et il y a du progrès tel que la reconnaissance de leurs droits et des écoles qui s’adaptent. D’autre part, les personnes handicapées continuent de faire face au préjudice, à l’isolement social et à la violence.

    J’ai passé 20 ans à chercher et à écrire sur l’histoire et la culture des personnes handicapées. Ma recherche m’a permis de voir une continuité entre la tragédie au Japon et la pratique de l’institutionnalisation qui a commencé aux États-Unis et en Europe. Cette institutionnalisation est la principale manière de gérer les handicapés depuis près d’un siècle. Et il est triste de voir que cette pratique continue dans de nombreuses parties du monde.

    Cacher les personnes handicapées

    Les handicapés souffrent d'un paradoxe. Ils sont de plus en plus visibles, mais leur marginalisation est plus féroce que jamais.

    Une femme qui dépose des fleurs pour les victimes à Sagamihara.

    Au Japon, il y a un stigmate profond envers ceux qui sont incapables de travailler. Et il est fréquent d’institutionnaliser les personnes dont le handicap mental ou physique nuit à leur productivité. En enfermant les gens handicapés, les institutions envoient le message qu’ils ont besoin d’être ségrégués et gérés. Elles facilitent le fait de voir leurs différences comme une honte et un secret qui affecte seulement les autres. En vérité, le handicap est un aspect d’une expérience ordinaire qui touche toutes les personnes et toutes les familles à un moment de leur vie. Comme le fait remarquer Rosemarie Garland Thomson, qui a publié des études sur les handicaps, le fait est que tout le monde entre et sort d’un moment de handicap dans leur vie. Cela peut être une maladie, une blessure ou la vieillesse. Et la peur de notre propre vulnérabilité et le stigmate qui l’accompagne nous incitent à nier cette vérité basique. Il est facile de voir les handicapés comme une population sans visage plutôt que des individus qui méritent le respect, l’adaptation et les opportunités.

    Comment en est-on arrivé là ?

    Un regard vers le passé nous permet de comprendre les attitudes envers les handicapés qu’on observe aujourd’hui. L’histoire du handicap n’est pas un chemin d’un progrès vers la tolérance et l’ajustement. James Trent, un professeur de sociologie au Gordon College, dans un livre intitulé Inventing the Feeble Mind, décrit les attitudes et les traitements envers les handicapés en Amérique depuis l’ère coloniale.

    Selon Trent, dans les zones coloniales et républicaines, les idiots, surnoms donnés aux personnes souffrant de handicaps mentaux, étaient des membres reconnus dans leur communauté locale. Mais à partir du 19e siècle, l’avènement de la modernité a mis une emphase sur la normalité. Un bon citoyen est celui qui doit être productif et autonome. Une nouvelle classe de professionnels a émergé dont les carrières concernaient la gestion de la santé et du comportement humain.

    Au milieu du 19e siècle, ces changements ont contribué à l’identification du Feeblemindedness (arriération mentale) comme d’un problème social qu’on doit identifier et traiter. L’arriération mentale était une catégorie large qui incluait les personnes avec des handicaps intellectuels, mais également ceux qui semblaient non productifs et immoraux telles que les migrants, les gens de couleur et les pauvres. Il est devenu fréquent d’enlever les arriérés mentaux et d’autres personnes handicapées de leurs familles et de leurs communautés pour les placer dans des institutions.

    Le commencement de l’institutionnalisation

    Les premières institutions aux États-Unis ont été inspirées par Edward Seguin, un éducateur français surnommé comme l’apôtre des idiots. Il pensait que les personnes souffrant de handicaps intellectuels étaient capables d’apprendre et de se développer. Inspiré par le succès de Seguin, les premières institutions américaines, menées par des hommes telles que Hervey B. Wilbur, Samuel Gridley Howe et Henry M. Knight, étaient dédié à l’éducation et le développement. Ces institutions étaient une mesure temporaire pour construire les capacités physiques et morales des résidents afin d’en faire des membres productifs de la société.

    Les institutions comme des endroits d’abus

    En quelques décennies, la mission des institutions a commencé à changer pour devenir une détention permanente des arriérés mentaux. Les réformés trouvaient difficilement un emploi, notamment pendant les périodes de difficultés économiques. Au début du 20e siècle, les mouvements eugéniques ont contribué au préjudice contre les arriérés mentaux en estimant qu’ils étaient une menace à la pureté et à la force des lignées de la nation.

    Forest Haven, un centre de développement et une institution mentale pour les enfants à Laurel au Maryland qui a été fermé en 1991.

    Forest Haven, un centre de développement et une institution mentale pour les enfants à Laurel au Maryland qui a été fermé en 1991.

    Les institutions ont traité ces problèmes en cachant ces indésirables de notre vue. Ils ont également contrôlé leur capacité de reproduction via la ségrégation et dans certains cas, une stérilisation obligatoire. À la base comme des entités d’éducations et de soins, ces institutions ont changé vers la gestion sociale. Ces établissements sont devenus surpeuplés et les résidents souffraient d’abus et de négligence. Parfois, les arriérés mentaux étaient utilisés comme des cobayes médicaux. Sans leur consentement, ils étaient exposés aux pathogènes pour des maladies telles que l’hépatite, la gonorrhée et la grippe.

    Le changement est difficile dans de nombreux pays

    Au milieu du 20e siècle, l’avènement des mouvements des parents et une série de scandales médiatiques a exposé des établissements comme Willowbrook State School et Letchworth Village et ces affaires ont contribué à diminuer les pratiques de l’institutionnalisation. Et de nouveau, les personnes handicapées retournaient à leur famille, dans des écoles ou des lieux de travail normaux.

    Et grâce à ces efforts, aujourd’hui, de nombreuses personnes handicapées aux États-Unis vivent souvent avec leurs propres communautés. Mais les problèmes de l’institutionnalisation persistent sous des formes différentes. Par exemple, les personnes handicapées sont souvent cantonnées dans des ateliers isolés où ils sont payés avec un salaire minimum pour des tâches pénibles et répétitives. On a également l’isolement dans les salles de classe spéciales et ils ont toujours des difficultés pour travailler et pour l’aspect social. Et dans d’autres parties du monde, la pratique de l’institutionnalisation et ses problèmes sont toujours présents. Les médias ont révélé les conditions de vie et les abus dans des établissements au Mexique, en Russie et en Roumanie.

    L’impact de l’institutionnalisation

    Un établissement pour les handicapés à coté de celle de Sagamihara dans la préfecture de Kanagawa au Japon

    Un établissement pour les handicapés à coté de celle de Sagamihara dans la préfecture de Kanagawa au Japon

    Mais on ne doit pas pointer vers les erreurs dans les autres pays afin de dédouaner les problèmes aux États-Unis. Les personnes handicapées font toujours face au préjudice, à l’exclusion et à la violence à cause de la culture persistance de l’institutionnalisation. La peur, la honte et l’incompréhension concernant les handicapés que nous voyons aujourd’hui sont des sentiments qui persistent alors que les institutions, qui en sont à l’origine, ont fermé depuis longtemps.

    Par exemple, les familles des victimes au Tsukui Yamayurien ont choisi de ne pas les identifier par leurs noms. Je pense que c’est la logique d’institutionnalisation qui a motivé leurs décisions. Leur honte est tellement grande qu’ils préfèrent que leurs proches handicapés meurent dans l’anonymat plutôt que d’admettre qu’ils avaient un proche qui était handicapé.

    Aux États-Unis, on a le même raisonnement derrière les centaines de milliers de tombes qui sont uniquement identifiées par un chiffre dans les cimetières à côté des anciens hôpitaux et asiles. Ces dernières années, des activistes pour les handicapés tentent de les identifier en insistant sur l’importance de la vie des personnes handicapées au présent.

    Reconnaissons-les comme des personnes

    Le massacre de Tsukui Yamayurien a été commis par une seule personne. Mais ses actions consacrent une longue histoire de l’institutionnalisation. Le fait d’isoler les personnes handicapées envoie le message qu’ils sont moins que des humains. Même après que les institutions aient fermé depuis longtemps, nous les traitons comme des problèmes qu’on doit gérer. Nous oublions que ce sont des personnes ayant une vie qui a du sens et de la valeur. Leurs morts absurdes sont aussi importants et on doit s’en souvenir de la même manière que toutes les autres victimes dans les tueries de masse.

    Traduction d’un article de The Conversation par Rachel Adams, professeure d’anglais et de littérature comparative à l’université de Columbia.

     

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    Estelle Dufresne

    Ancienne journaliste dans plusieurs titres de la presse régionale. Mais comme la presse régionale n'existe plus, je me suis recyclé dans les rubriques internationales de plusieurs sites en ligne.

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