Etude : 92 % des rédacteurs web virés à cause de l’IA (Infographie)

Ma première tâche en tant que rédacteur web était d’envoyer un texte d’essai sur mon pays en 2009. J’étais recruté dans une agence 2 semaines plus tard et pendant presque 10 ans, j’ai vécu de ce métier. Cela s’est arrêté net en 2020 quand un de mes clients les plus fidèles a décidé d’abandonner le secteur du contenu web parce que selon lui, éditeur, rédacteur et blogueur, on se fait tous baiser par les GAFAMs. Et il avait raison.

La baisse des revenus Adsense inexplicable en 2022 et 2023 (inexplicable puisque Google affiche une santé éclatante sur son chiffre d’affaire), des mises à jour foireuses comme la Helpful Content qui te décapite ton trafic alors que t’es debout chaque matin pour créer quotidiennement du contenu, donne des envies de meurtre sur ces gens qui ont détruit le web tel que nous le connaissons.

Et malgré le fait que j’avais délaissé la rédaction web puisque mes sites marchaient plus ou moins bien à l’époque, je suis revenu dans le secteur en 2023 et j’ai vu une industrie de la rédaction web qui a été éviscéré au napalm à la fois par la crise économique et surtout l’IA.

Dès que j’ai testé ChatGPT en décembre 2022, j’ai compris que malgré sa médiocrité absolue, cet outil venait de remplacer définitivement le rédacteur web puisque ce rôle consiste à pisser du contenu au prix le plus merdique possible.

Tout le reste est du babillage marketing pour faire croire à un métier créatif et de rêve. Personne ne recrutait plus les rédacteurs web et quand ils étaient recrutés, c’était pour utiliser ChatGPT, donc des prix encore plus bas. Et comme j’étais chomeur et fauché, j’ai décidé avec 3 collègues tout autant fauchés que moi de faire une étude, plutôt un sondage, sur l’opinion des rédacteurs web en cette année 2023 et comment ils s’en sortent. Scoop, ce n’est pas fameux.

Échantillon de l’étude

Nous avons commencé comme un projet de passe-temps et ludique dans un premier temps, en mars 2023. Mais nous nous sommes pris au jeu et nous avons continué comme ça jusqu’en octobre 2023 où nous avons terminé la collecte des données. Nous avons collecté les réponses de plus de 3 500 personnes qui se sont prêtés au jeu. Ce qui couvre un grand spectre de l’industrie.

Ces 3 500 personnes, nous les avons contacté sur 4 réseaux sociaux et plateformes où les rédacteurs web ont l’habitude de discuter et de postuler à des offres. Ci-dessous, comment les sondés se répartissent sur ces réseaux :

• Facebook : 2200
• Linkedin : 780
• Twitter : 150
• Indeed : 370

Facebook est le plus représentatif puisque les rédacteurs web low cost sont surtout présents sur les groupes Facebook qui concerne le freelancing et la rédaction web. Et comme on peut aussi trouver des clients, cela nous donnait une représentation plus équilibrée sur les réponses avec des avis provenant des deux camps. Le gros avantage de Facebook est qu’on trouve des rédacteurs web en France, mais également en Afrique où le vivier semble intarissable avec des prestataires à la qualité plus ou moins optimale.

Linkedin, la même chose, mais nous avons aussi contacté des profils individuels. Sur Twitter, juste des questions publiques et nous avons collecté les réponses. Nous avons également contacté quelques entités en DM puisqu’elles ne voulaient pas s’exprimer en public. C’était des clients qui avaient fait le choix d’utiliser exclusivement l’IA.

Dans le cas d’Indeed, c’était plus compliqué puisqu’il fallait compulser des annonces individuelles et contacter ceux qui répondaient en sachant que c’est difficile d’avoir les contacts. Mais on a pu se débrouiller. En fait, ici, on a même pu croiser les données puisque nous avons intégré les sondés sur Facebook et Linkedin qui utilisaient Indeed. Cela peut fausser l’échantillon, mais ce dernier, initialement dépassait les 3700 et nous avons ramené à 3500 pour éviter les biais additifs.

Les 5 questions posées

• Depuis quand est-ce que vous êtes rédacteur web ?
• Est-ce que vous avez dû mal à trouver des contrats de rédaction web depuis l’arrivée de ChatGPT ?
• Est-ce que vous avez été congédié à cause de l’utilisation de l’IA ?
• Est-ce que l’IA a changé votre façon de travailler ?
• Est-ce que vous allez continuer dans le secteur de la rédaction web ?

Les résultats

En plus des résultats, nous étions surtout curieux d’engager la conversation avec toutes les personnes. Les échanges ont été nombreux et fructueux et le sentiment général est négatif envers l’IA et pas pour les raisons qu’on imagine.

Interprétation des résultats et limitations

Les résultats montrent très clairement que l’IA a impacté négativement les rédacteurs web quel que soit leur profil sociologique et les réseaux qu’ils utilisent. Mais la caractéristique du réseau, impactant leur zone géographique, nous donne des nuances intéressantes. Parmi les limitations, on s’est aperçu qu’on n’a pas précisé les thématiques de la rédaction web.

Donc, nous avons pu interroger les rédacteurs très spécialisés et les autres beaucoup plus génériques. Mais comme la collecte des données était déjà en cours, nous ne pouvons plus interrompre le processus.

En premier lieu, sur l’ancienneté des rédacteurs web. On voit que Facebook possède les rédacteurs les plus récents, les nouveaux et on peut dire qu’ils ont choisi le mauvais moment pour se lancer. Provenant aussi de pays africains et pauvres, on a remarqué qu’ils s’étaient lancés après 2020, ayant été virés de leur boulot classique, ils ont tenté une aventure en freelance. Linkedin et Twitter possèdent les rédacteurs à l’ancienne ce qui est également corrélé avec leur zone géographique, la France.

Donc, ce sont des rédacteurs mieux implantés, mais la majorité sur Twitter est aussi récente. C’est par le fait que beaucoup de français se sont établis en Europe de l’Est. C’est ce qui est ressorti de nos échanges. Il semblerait que beaucoup de français s’expatrient et qu’ils se lancent dans la rédacteur web, car dans ces pays, c’est un métier qui fait davantage vivre par rapport au niveau de vie moins cher et la facilité de trouver des emplois.

A la question si ChatGPT a empêché les rédacteurs de trouver de nouveaux contrats, les réponses sont globalement positives. La palme revient à Facebook où les rédacteurs étaient vraiment dans un désert. Cela peut se comprendre parce que comme ce sont des nouveaux et des rédacteurs web low cost, qui faisaient surtout les textes les plus basiques, ChatGPT peut le faire sans trop de problème. Donc, les clients de ces rédacteurs web n’avaient plus besoin de ces pisseurs de mots au rabais.

C’est beaucoup plus mesuré pour ceux qui sont sur Linkedin et Indeed et c’est là que le réseautage a permis a beaucoup de gens de passer le cap. Cela signifie que même si sur ces deux réseaux, il y avait moins d’offres, leur réseau a permis quand même de décrocher quelques contrats.

A la question à 1 million de dollars sur si des rédacteurs web ont été viré à cause de l’IA, les réponses sont saisissantes et fascinantes. On pourrait penser que grâce au réseautage, les rédacteurs sur Linkedin et Indeed seraient épargnés, mais c’est le contraire puisqu’ils ont été littéralement éviscérés ! 92 % sur Linkedin et 90 % sur Indeed.

Et cela s’explique par le chantage sur les tarifs. Comme mentionné plus haut, les rédacteurs sur ces réseaux ne sont pas des “délocalisés”, ils travaillent en France que ce soit en solo ou en agence et donc, ils ont des tarifs 10 à 15 fois supérieurs à des rédacteurs de pays pauvres. Mais comme l’IA est avant tout un outil de réduction de couts, ce sont les mieux payés qui trinquent en premier. Quand l’IA est arrivée, ce sont les avocats qui ont sauté en premier.

Étonnamment à première vue, les rédacteurs low cost sur Facebook ont été moins touchés. Mais en même temps, c’est normal, ce sont des rédacteurs qui sont tellement payés une misère qu’ils ont pu garder leur emploi comparé à ceux qui gagnaient correctement leur vie. Cependant, les réponses qu’on a reçu de FB sont nuancés. Car dans l’ensemble, ils nous ont dit que même s’ils ont gardé le contrat, le prix a été divisé par 3 ou 4 (pour vous donner une idée, un rédacteur web dans un pays pauvre gagne 1 euro pour 100 mots et ce, avant l’IA).

En effet, les clients leur demandaient simplement d’être des ouvriers de l’outil IA. Ils généraient le texte avec des prompts, trouvaient parfois des images et les publiaient. Donc, des tâches encore plus pénibles et aliénantes qu’auparavant.

A la question si l’IA avait changé la facon de travailler, les rédacteurs FB ont dit majoritairement non, mais ceux sur Linkedin l’ont utilisé assez massivement. Même s’ils nous ont juré qu’ils ne l’utilisaient qu’en amont, une lecture entre les lignes permet de comprendre qu’ils l’utilisaient pour générer les articles. La raison de cette dissonance est que l’utilisation de l’IA n’est pas encore entré dans les moeurs dans les pays pauvres contrairement à l’adoption Express des pays riches. C’est toujours le cas avec toutes les nouvelles technologies.

Et enfin, avec l’IA qui est maintenant là, est-ce que vous continuerez dans la rédaction web. Les plus entêtés ont été ceux d’Indeed, mais ceux de Linkedin iront voir ailleurs s’ils y sont. Cela peut se comprendre, car comme c’était des gens qui gagnaient bien leur vie, ils ont perdu la totalité de leurs revenus en l’espace de quelques mois.

On a eu des réponses en demi-teinte sur Facebook et Twitter et c’est également normal, car ce sont des freelance, c’est à dire que la rédaction n’est pas leur taff principal. Ils trouveront autre chose, car pour eux, il n’y a pas de différence entre écrire un descriptif de produit, être un chauffeur Uber ou saisir des données de manière aliénante.

Le mot de la fin

Même si notre étude a des limitations, nous avons quand même quelques milliers de personnes qui nous disent qu’en l’espace de 12 mois avec des IA qui sont encore à leurs balbutiements, ça a été un carnage pour la rédaction web. Et on peut dire la même chose pour de nombreux secteurs de services, graphisme, vidéo, transcription, traduction, etc.

Comme le veut le capitalisme depuis sa naissance, chaque innovation technologique détruit les meilleurs salaires et garde des survivants, payés une misère. Et l’IA n’échappe pas à la règle. Dans les années qui viennent, les IA vont devenir plus performantes et commencer à titiller les boulots les plus créatifs.

Nous nous sommes concentrés sur la rédaction low cost parce qu’elle constitue la majorité des contenus sur le web. Mais dans le futur, nous aurons des IA qui seront vraiment créatives, capables de créer des slogans publicitaires, d’écrire des livres, des chansons, de la poésie de manière vraiment originale. L’arrivée des IA audio et vidéo va détruire les musiciens, les créateurs vidéos et tous les prestataires qui en découlent (monteur, cadreur, preneur de son, etc).

Je remercie Jacqueline, Mathieu et Miranda de m’avoir aidé dans cette étude, surtout au  niveau de la collecte des données. Ils se reconnaitront.

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Mes livres

Le Basilic de Roko	Mon parcours de rédacteur web	Science corrompue et servile	Nous, Tueurs en série