Comment l’Occident a perdu face aux monnaies numériques des BRICS+

Un élément peu remarqué des sanctions de l’Occident contre des pays comme la Russie et l’Iran a été la façon dont le développement technologique s’accélère inévitablement en période de stress aigu, et surtout en temps de guerre. En fait, le conflit russo-ukrainien, vu dans le contexte plus large d’une lutte entre l’hégémonie occidentale perçue et les rivaux opposés, pourrait bien être finalement réglé grâce à la technologie, plutôt qu’à la force brute et aux mesures administratives visant à entraver le commerce, les sanctions.

Entre le 22 février 2022 et le 10 février 2023, des territoires et des organisations du monde entier ont imposé 10 608 sanctions  à des individus originaires de Russie. Les États-Unis, la plus grande économie du monde, ont imposé à eux seuls plus de 2 000 sanctions basées sur des listes. Pourtant, sans entrer dans des discussions sur le bien-fondé ou non du conflit ukrainien, on peut se demander sur l’efficacité de ces punitions.

Le principal pilier des sanctions a été le réseau SWIFT. Alors que la Russie a pu y résister et même prospérer (sa croissance du PIB au deuxième trimestre a atteint 4,9 %), la déconnexion de SWIFT pour les petites économies pourrait être un énorme problème. Mais cela dit, l’Iran est déconnecté de SWIFT depuis 2018. Cela n’a pas entraîné de changement de régime. Il y a clairement une résistance.

Mais bientôt, les sanctions SWIFT ne feront plus peur à personne. Car les nouvelles technologies numériques, accélérées en partie depuis que l’Occident a commencé à les utiliser comme une arme de sanctions, sont sur le point d’entrer en jeu. C’est là que le rôle futur des monnaies numériques commence à se faire sentir, avec l’Occident actuellement à la traîne dans la course au développement.

L’introduction des monnaies numériques est un changement de paradigme car les pays qui les utilisent peuvent contourner complètement le réseau de paiements SWIFT. Ce sont une solution technologique nouvelle aux sanctions technologiques anciennes. C’est parce que ces monnaies ne sont pas basées sur un seul protocole et qu’elles ne peuvent donc pas être visibles par la BIS basée à Bâle, qui est la plateforme opérationnelle de SWIFT.

Cela signifie qu’il est possible de contourner efficacement SWIFT et les sanctions financières et économiques de l’Occident. Cela supprime également en partie les menaces de déconnexion de SWIFT par l’Occident aux pays tiers car une alternative existe. Quand cela se produira-t-il ?

La réponse est que le processus est déjà en cours. Le 1er août, la Russie a officiellement lancé le rouble numérique. Il est géré par la Banque centrale de Russie, il ne fonctionne donc pas comme une cryptomonnaie, il n’est que la version numérique du rouble standard et soutenu par la Banque centrale. D’autres monnaies numériques souveraines, comme le yuan numérique et la roupie numérique, sont identiques.

Même des pays plus petits, comme le Kazakhstan (lui-même un important conduit pour le commerce russe vers l’est et l’ouest) et le Kirghizistan, parmi beaucoup d’autres, y compris l’Iran, sont tous très avancés dans l’introduction de versions numériques de leurs monnaies. La Russie, la Chine et l’Inde sont toutes au stade des essais en conditions réelles, la Banque de Russie affirmant qu’un déploiement complet à tous les clients bancaires russes qui souhaitent utiliser le rouble numérique est prévu pour début 2025.

Il en sera probablement de même pour la Chine et l’Inde. Le Brésil et l’Afrique du Sud, les autres membres des BRICS, ont également des développements de monnaies numériques bien avancés. C’est important à noter car les membres des BRICS sont également les nations de tête parmi leurs blocs commerciaux régionaux respectifs : le Mercosur, la CEI/UEEA, la SAARC/BIMSTEC, le RCEP et la ZLECA/Union douanière d’Afrique australe. L’expansion des monnaies numériques et le partage de ces technologies seront, pour reprendre un terme pertinent, “rapides”. Cela éliminera la plupart, sinon toutes, les sanctions financières et économiques de l’Occident contre la Russie  et tous les autres.

L’Occident a des années de retard sur les monnaies numériques

Mais où se trouve l’Occident parmi toutes ces numérisations monétaires ? En fait, ils ont été laissés des années en arrière. Les États-Unis viennent de terminer leur “preuve de concept”, une étape que la Russie, l’Inde et la Chine ont franchie il y a trois ans. L’UE est dans la même situation. S’il est vrai que des économies comme les États-Unis et l’Union européenne sont plutôt plus complexes, cela a en revanche entravé leur capacité à s’adapter facilement au changement technologique. Même le Laos, l’un des pays les plus petits et les plus pauvres de l’ASEAN, lance des essais de monnaies numériques souveraines.

La réalité inattendue et quelque peu stupéfiante est donc que l’Occident n’a pas réussi à comprendre pleinement l’étendue de la force économique de la Russie, a été trop confiant dans sa capacité à manipuler le commerce mondial via SWIFT, et en même temps a été distancé dans le développement de nouvelles technologies numériques alternatives. Cela signifie également que l’avènement d’une nouvelle structure économique mondiale est actuellement en cours. Il est temps de s’attacher pour le voyage.