Les mascottes du consumérisme numérique


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  • Pourquoi les enfants influenceurs sont-ils importants pour la circulation des marchandises ? Comment peuvent-ils devenir des pièces marketing animées à très faible coût ? Une analyse du travail des enfants sur les réseaux sociaux et de la nouvelle main-d’œuvre qu’il crée : followers


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    Par Veridiana ZURITA et José Paulo Guedes PINTO sur OutrasPalavras

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    Maman, imagine si le monde était entièrement pixelisé !? Ce serait incroyable”. C’est avec cette phrase que le fils de 6 ans de l’un des auteurs de cet article l’a confrontée à l’imaginaire d’une génération. La question du monde “réel” (si on peut encore dire cela) convertie dans la définition pixellisée d’un jeu vidéo, révèle une sorte d’influence que l’environnement numérique peut exercer sur l’enfance.

    Entre l’imaginaire d’un monde pixelisé et l’envie de réaliser des vidéos et de les partager sur les réseaux, la transition a été rapide. “Maman, je veux mettre une vidéo sur Internet.” D’où une inversion : s’il n’est pas possible de transformer le monde en pixels, l’enfant veut devenir virtuel.

    Voir des enfants socialisés sur les réseaux sociaux nous renseigne sur notre époque et sert de prisme pour analyser ce que nous normalisons comme manières d’être dans un type de monde. Mais, surtout, cela peut nous servir d’outil pour identifier le rôle social des enfants à l’époque du capitalisme numérique.

    Depuis le lancement des réseaux sociaux numériques comme Instagram, YouTube, Facebook et, plus tard, Tiktok, l’émergence de l’influenceur comme sujet représentatif de son époque est notable. Cependant, l’influenceur n’existe pas seul, son importance est légitimée par le nombre de followers qu’il accumule.

    Sans restrictions de classe, de race, de sexe, d’origine ethnique, de génération ou d’idéologie, être influenceur et suiveur est une pratique répandue et quotidienne dans la communauté numérique.

    Cependant, influencer les modes de vie qui légitiment la production et la consommation de biens n’est pas né avec les réseaux sociaux. Les dispositifs qui influencent les consommateurs couvrent toute l’histoire du capitalisme et sont redimensionnés à chaque crise du système.

    Identifier de tels dispositifs, leurs formes et dynamiques renouvelées, nous aide à comprendre le capitalisme et son processus historique, qui dépend de la production de sujets pour reproduire et réorganiser les relations sociales subordonnées aux exigences économiques de chaque époque.

    Quelle serait la place de l’enfant influenceur numérique dans le circuit des capitaux ? Et plus précisément, comment un tel sujet internalise-t-il une rationalité économique fonctionnelle à un tel circuit ? Sur la base de ces questions, nous avons l’intention de situer l’enfant influenceur numérique et ses adeptes dans le cycle d’accumulation du capital.

    Nous discuterons de la relation de codépendance et de rétroaction entre influenceurs et adeptes à travers un ensemble de pratiques qui les caractérisent comme des sujets produits par le capitalisme contemporain, notamment par la sphère numérique de l’économie. Cette relation est contextualisée comme un élément clé de l’accumulation capitaliste, en se concentrant sur l’étape nécessaire de la circulation du capital, à savoir l’achat et la vente des biens, garantissant leur “saut périlleux” (Marx, 2013, p. 243) comme une étape cruciale du processus de reproduction du capital et du capitalisme.

    Notre hypothèse est que l’enfant influenceur est devenu, avec l’émergence des réseaux sociaux, un élément clé de l’étape de circulation du capital et la mascotte chargée de réaliser un ensemble de pratiques sociales qui ont pour effet (et, en même temps, temps, relance) l’intériorisation d’une raison économique prescrite par la nécessité d’accélérer la circulation du capital. […]

    Enfant influenceur numérique : la mascotte pour influencer la consommation

    L’enfant influenceur numérique a fait l’objet de débats dans certaines recherches, principalement dans le domaine du droit et des sciences sociales. L’accent de ces approches va de la dénonciation de l’exploitation du travail des enfants (Oliveira, 2022), à l’intensification de la publicité avec les nouvelles technologies (Efing, 2021), aux relations de genre dans l’identité numérique (Marôpo, Miranda, Sampaio, 2018), à l’enfance et à la production de nouvelles subjectivités (Tomaz, 2017), l’expansion des écrans à travers un modèle économique (Azen et Bezerra, 2022) et les relations entre travail reproductif et travail numérique (Jarret, 2016), entre autres.

    De manière générale, le débat autour du travail mené par les enfants influenceurs numériques touche peu à leur rôle spécifique au sein du cycle capitalistique dans son ensemble. Pour nous, cette spécificité est importante pour pouvoir analyser le travail des enfants dans le contexte numérique et identifier la continuité d’une rationalité économique qui contourne les réglementations pour garantir la reproduction du capital.

    Nous considérons les enfants influenceurs comme ceux qui utilisent leur profil comme véhicule pour promouvoir les marques et leurs produits. Que ce soit dans le cas des Instagramers qui partagent leur vie quotidienne sous forme de panneaux d’affichage pour promouvoir des marchandises, comme les profils @valeti-namunizreal (8 ans, 2,2 millions de followers) et @luisaminibloger (7 ans, 315 000 followers) ; ou comme dans le cas des YouTubers qui monétisent leurs chaînes grâce à la publicité de marques qui contestent le contenu des vidéos, comme par exemple les chaînes Planeta das Gêmeas (10 ans et 7,4 millions d’abonnés) et Isaac do Vine (9 ans et 4,9 millions d’abonnés) (Sayuri, 2018).

    Dans cet article, nous ne nous consacrons pas à une analyse des profils, du contenu des canaux et des variantes de chaque plateforme au sein d’un même modèle économique. Nous nous concentrons sur le débat plus large autour de ce qui unifie les exemples cités dans le cadre d’une culture numérique, caractérisée par le capitalisme contemporain, sa demande d’accélérer la dynamique entre productivité et consommation à travers la réorganisation des relations de travail et le rôle de l’enfance dans une telle réorganisation.

    Comprendre comment la reproduction de la main-d’œuvre se produit à la suite des transformations technologiques est fondamental pour analyser le rôle de l’enfance dans le cycle d’accumulation du capital. La théorie du travail reproductif contribue largement à la théorie des valeurs en affirmant que la force de travail ne pourrait exister et être exploitée sans que le travail domestique soit en action. La sphère domestique est donc fondamentale pour la reproduction du capital, comme chez Federici (2011), Ferber et Nelson (1993), Folbre (2001), Fortunati (1995), Jarret (2016), Mies (1988), Picchio (1992).

    Jarret (2016) actualise le débat sur le travail reproductif en utilisant le concept de “femme au foyer numérique”. Il s’agit de “l’acteur qui émerge des structures et des pratiques de travail ostensiblement bénévole des consommateurs, alors qu’ils s’expriment, partagent des opinions (…) dans les médias numériques commerciaux, tout en ajoutant de la valeur économique à ces sites” (Jarret, 2016). , p.06).

    L’auteur aborde les dimensions du travail immatériel présent dans l’espace domestique, ses associations avec le public marchand (Smythe, 1981) et sa contribution au circuit du capital. Ce débat est fondamental dans cet article, puisque nous positionnons le rôle de l’enfance comme structurant le travail réalisé par le public. La “préparation des enfants à leur rôle dans le public” (SMYTHE, 1981, p. 236) démontre le contexte dans lequel une telle préparation a lieu et l’importance de l’attention des enfants à l’objet du public. L’espace domestique et les fonctions familiales qui y sont impliquées constituent le contexte central du travail du public (Smythe, 1982).

    À partir de la compréhension de la famille comme institution organisatrice de l’invention de l’enfance (Ariès, 1975), nous nous intéressons principalement à la relation entre l’enfance et l’inauguration du sujet consommateur. La présence de l’enfance au centre de la famille de consommation caractérise le succès de la production et de la consommation à grande échelle et l’enracinement du consumérisme à travers la publicité de masse.

    L’augmentation du consumérisme et de la publicité de masse a créé “de nouvelles opportunités de dépenses alléchantes. On attendait des parents, qu’ils le puissent ou non, qu’ils forment (nous soulignons) leurs enfants à devenir des consommateurs expérimentés” (Zelizer, 1985, p. 13).

    Le sujet consommateur ouvre donc la possibilité d’un type d’œuvre camouflé par un récit de droits. Avec les appareils de communication, l’enfant devient un sujet de droits, de désirs et de souhaits (Schor, 2009). Or, c’est au XXIe siècle que les nouvelles technologies rehaussent le statut des consommateurs de biens matériels et symboliques au titre de producteurs et diffuseurs de ces biens (Buckingham, 2007). C’est cette unité de pratiques qui caractérise ce que Tapscott et Williams (2006) appellent le prosumer.

    On observe alors comment la demande d’accumulation trouve des brèches pour récupérer et, en même temps, produire des activités réalisées dans l’espace domestique comme formes de travail. Dans le cas des enfants influenceurs, ces activités consistent en des pratiques capables de générer des informations pour la production, la consommation et la circulation de biens en ligne. C’est depuis l’espace domestique que ces pratiques sont captées et partagées sur les réseaux, comme une exploration constante de ce que font les enfants à la maison.

    En ce sens, il est pertinent de noter que l’expansion des écrans dans l’espace domestique transforme, à travers le divertissement audiovisuel, “le loisir moderne et le sujet du loisir lui-même” (Azem et Bezerra, 2022, p.88). La culture de masse, créant une “culture du loisir” (Morin, 2018, p.61), dépasse les limites entre loisir et travail.

    Cette extrapolation nous raconte comment l’enfance devient, à travers l’histoire, fonctionnelle au circuit du capital. Dans le contexte numérique, la culture des loisirs ne se limiterait plus à l’acte de regarder, mais aussi à stimuler la production de contenus.

    Le fait de jouer devant les caméras, de capturer et de partager des loisirs sur les réseaux devient une justification du non-travail et, en même temps, un capital ludique (Tomaz, 2017), à travers lequel “le jeu est transporté de la sphère privée à la sphère public” (Marôpo, Sampaio et Miranda, 2018, p. 185). Ou encore, comme le dit une mère, productrice de ses filles : “pour elles, ce sera toujours un jeu. Je travaille” (Sayuri, 2018).

    Jusqu’à présent, nous avons souligné l’importance de l’espace domestique en tant que territoire où le rôle de l’enfance évolue à la suite de la réorganisation du travail. Ce qui caractériserait la sphère domestique à l’ère numérique contemporaine, c’est sa fonction de production de données sur la consommation et, en même temps, de production de publicité. Ensuite, nous examinerons la publicité dans le cadre de la mise à jour de l’enfant influenceur en tant que rôle qui stimule la consommation et rationalise l’organisation et la prédiction du comportement des consommateurs.

    Le rôle social de la publicité

    La tâche de propagande visant à accélérer la circulation du capital accompagne l’histoire du capitalisme et a permis de garantir que la production de masse, mobilisée à partir de la révolution industrielle, trouve sa destinée auprès des consommateurs. Plus précisément, c’est après la Seconde Guerre mondiale que la publicité étend son marché aux enfants et aux jeunes qui commencent à influencer la consommation familiale (Schor, 2009).

    Dans le documentaire The Century of the Self, Curtis (2002) montre comment la grande récession qui a débuté en 1929 et l’inquiétude face aux crises de surproduction de l’après-guerre ont influencé les stratégies de ce secteur. Le documentaire montre comment les années 1950 ont été marquées par la traduction subversive des fondements de la psychanalyse dans la publicité, afin de garantir la continuité et la rapidité de la consommation.

    La publicité découvrirait qu’elle devait encourager les gens à passer d’une culture du besoin à une culture du désir. Une telle stimulation s’accompagnait d’une promesse, l’idée qu’une consommation motivée par le désir garantirait que le sujet s’exprime dans le monde, que son intériorité la plus intime puisse être vue et perçue par les autres. Ainsi, des objets non pertinents et inutiles ont commencé à devenir des symboles émotionnels indiquant la façon dont les sujets aimeraient être vus les uns par les autres. L’achat d’un produit n’était plus une simple consommation et devenait un acte d’engagement personnel, d’intimité de soi, avec ce service ou ce produit.

    Curtis (2002) se penche sur les origines des mécanismes de prédiction du comportement des consommateurs, ce qui nous aide à comprendre la logique qui sous-tend aujourd’hui l’accumulation et la collecte de données numériques. Le documentariste montre le développement du marketing comme moyen d’organiser le marché de consommation à partir de la collecte de données auprès de la population.

    Tout un cadre de recherche, comme les “focus groups”, les sondages d’opinion et autres mécanismes de collecte d’informations, a commencé à être organisé pour faire parler la population de ses désirs par rapport aux produits. Parler de produits est devenu un élément clé pour assurer l’accélération de la circulation des marchandises.

    La montée en puissance des influenceurs numériques sur les réseaux sociaux peut être interprétée comme l’intensification de cette logique qui est à l’origine de la publicité comme moteur de la circulation des biens. Si auparavant la publicité dépendait des sociétés de marketing pour produire et collecter des informations sur le marché de consommation, les réseaux sociaux se présentent désormais comme un espace où cette production de données se produit volontairement, “spontanément” et sans interruption à travers la navigation des utilisateurs.

    Parler de produits comme si quelqu’un parlait de lui-même, parler de lui-même comme si quelqu’un parlait de produits. Cette intersection importante entre la publicité et les demandes du marché s’intensifie aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Le sujet en tant que véhicule d’une marque, qui est potentiellement lui-même, atteint sa propre efficacité dans la dynamique entre influenceurs et followers.

    Dans le processus de développement de la culture des influenceurs (Fuchs, 2022), fleuron du marketing contemporain, les enfants influenceurs caractérisent leur propre dynamisme. Depuis que la publicité télévisée a commencé à utiliser des enfants dans ses publicités, l’efficacité de la persuasion de la consommation par la performance des enfants a été remarquable.

    Les années 90 au Brésil ont été marquées par l’utilisation d’enfants dans les publicités et leur efficacité publicitaire, car ces images “permettaient de gagner plus facilement la sympathie, tant de la part des parents que des enfants eux-mêmes, car elles tendent à favoriser l’identification entre les images et le public” ( Monteiro , 2014, p.56).

    Si, à ce stade de vulgarisation de la télévision en tant que média de masse, l’utilisation d’enfants dans les publicités démontrait déjà “l’intérêt marketing d’investir dans le pouvoir de persuasion envers les enfants et les parents/tuteurs” (Monteiro, 2018, p. 97) , il est pertinent de noter les transformations d’une telle nature persuasive dans le contexte des réseaux sociaux.

    Dans le cas des enfants influenceurs, il y a un élément nouveau : ils inaugurent une forme de socialisation sur les réseaux où les individus sont non seulement incités à être des consommateurs avides, mobilisés par l’irrationalité “libertaire” du désir, mais aussi des vendeurs avides, mobilisés par une une rationalité économique où chaque souffle devient une étape de vente sur les réseaux sociaux.

    Les enfants influenceurs seraient donc des performers pour les annonceurs (Fuchs, 2022), des panneaux d’affichage animés pour les marques, qui engageraient des followers qui, à leur tour, attireraient l’attention et accéléreraient la vente des biens déjà produits. De plus, cette accélération s’intensifie puisque désormais le “naturel” et la “spontanéité” des contenus enregistrés depuis l’espace domestique, masquent le récit commercial, facilitent la “sympathie” entre le public et les images d’enfants et stimulent le désir de consommation.

    En ce sens, il y a un changement dans la perception qu’a le consommateur de la relation entre la performance du sujet de la publicité et le produit vendu. À l’ère numérique contemporaine, la figure de la célébrité est traversée par ce que l’on appelle les “microcélébrités” (Senft, 2008), caractérisant un changement important dans la production de publicités. “Les nouvelles technologies, les processus de production moins chers et plus faciles, l’ouverture des canaux de circulation et de diffusion des produits permettent à presque tout le monde de rejoindre un réseau” (França, 2014, p. 29).

    Si auparavant les sociétés de marketing et les agences de publicité devaient mobiliser beaucoup de capitaux pour produire des données, des publicités pour les médias (radio, télévision, journaux, magazines, etc.) et rémunérer leurs équipes et leurs équipements, c’est désormais l’influenceur numérique qui en devient responsable de cette tâche à un coût très faible.

    Il est désormais le producteur de la scène et celui qui garantit l’attention des consommateurs potentiels des produits dont il fait la promotion. De cette manière, l’influenceur réduit ce que l’on appelle les “faux coûts” (Marx, 2014, p. 235), contribue à l’économie du capital dans son ensemble et devient un élément fondamental de l’étape de circulation.

    La tendance à la concentration et à la centralisation de la production et de la distribution de contenus culturels comme moyen de réduire les risques pour le capital (Bolaño, 2000) ne serait pas quelque chose de nouveau, mais elle change de forme. Aujourd’hui, grâce à cette pratique, les mégacorporations (et leurs propriétaires) qui possèdent des plateformes de communication et d’information numériques commencent à accumuler du capital grâce au nombre d’annonceurs qui utilisent les influenceurs comme véhicules pour faire circuler leurs produits.

    Les agences de publicité deviennent obsolètes en tant que centralisateurs d’un marché de production de contenu publicitaire, laissant la place aux agences de marketing numérique, qui commencent à organiser la relation entre les annonceurs et les enfants influenceurs numériques.

    Le néolibéralisme comme utopie libérale

    Afin de collaborer au débat sur le travail des enfants, nous nous sommes attachés à identifier l’influenceur comme un comportement emblématique, comme une idéologie qui subventionne le capitalisme contemporain (Fuchs, 2022). Il est le sujet “choisi” de notre époque et qui a besoin d’amener avec lui des adeptes dans le cadre de ses “capacités accumulées” (Foucault, 2008).

    En ce sens, il existe une relation de codépendance et de feedback entre influenceurs et followers, capable d’aligner les demandes de circulation et d’accumulation avec une subjectivité produite comme modèle. Cela signifie qu’il existe sur les réseaux un modèle de subjectivité qui agit doublement, à la fois à travers les pratiques des influenceurs et des followers.

    Dans le capitalisme contemporain, l’influenceur se présente donc non pas comme un statut, mais comme un processus et une série de pratiques (Marwick, 2016) où une subjectivité capable de généraliser de manière économique, subdivisée ou externalisée à ses adeptes, est préparé. .

    Les concepts de “biopolitique” et de “gouvernementalité” élaborés par Michel Foucault (2008) sont importants pour comprendre comment l’enfant influenceur actualise, à travers ses pratiques, un processus d’intériorisation de la rationalité néolibérale, essentiellement subventionné par le discours de “l’entrepreneuriat d’affaires” et du “Je”.

    Dans son enquête, le philosophe s’est concentré sur Hayek (1960) et son utopie du “libéralisme comme style général de pensée, d’analyse et d’imagination” (Foucault, 2008, p. 302) qui, si elle était adoptée, serait capable de dépasser la simple technique économique de gouvernement pour devenir une “pensée vivante” de contrôle social et de reproduction du capitalisme, qui anime et est animée par ses sujets. À la lumière de cette interprétation, le néolibéralisme a recherché, et en même temps prédéterminé, un “principe de rationalité stratégique” (Foucault, 2008, p. 308) dans l’activité de travail.

    La main d’œuvre apparaît alors comme un “capital” composé des caractéristiques physiques et psychologiques d’une personne. Ces caractéristiques sont observées par Foucault (2008) comme des aptitudes et des compétences qui, du point de vue du travailleur, sont regroupées en tant que capital de la main-d’œuvre. Chaque individu serait donc une machine, un agrégat de compétences, de capital organisé en main d’œuvre.

    Cette “motivation” est le crochet que les néolibéraux trouvent pour concocter un principe de rationalité et de désir dans et pour le travail en tant que comportement humain. Ce que cherche le néolibéralisme dans son analyse économique, c’est à décrypter, et, en même temps, programmer, les individus comme des entreprises de leurs propres capacités, des “unités-entreprises”, des sujets capables de reproduire une rationalité économique qui est le moteur de la société.

    Foucault (2008) souligne comment le capitalisme réorganise les relations de travail, élargissant la subordination de la subjectivité aux exigences économiques. Les individus doivent être continuellement motivés à adopter des comportements qui répondent aux exigences de l’accumulation et de la dissimulation des relations de pouvoir. La sphère du travail (et du non-travail) accompagnerait donc le besoin idéologique d’obscurcir les relations à travers lesquelles la production de valeur s’effectue dans le capitalisme contemporain.

    Entre liberté et obéissance

    Sous son apparence néolibérale, le capitalisme commencerait à produire des sujets qui désirent et dépendent subjectivement d’une certaine performance. Le sujet modèle de réussite sur les réseaux n’effectue plus seulement les relations sociales qui le subordonnent, dans un corps docile comme passif et domestiqué par une force extérieure, mais commence à reproduire au quotidien le désir de subordination.

    Dans le cas des réseaux sociaux numériques, en tant que contexte dans lequel de nouvelles formes de travail mettent à jour les mécanismes de subordination, la relation réciproque entre liberté et obéissance caractéristique du néolibéralisme (Gago, 2019) est mise à jour. À travers les pratiques menées par les influenceurs et leurs adeptes, l’imbrication entre liberté et obéissance s’intensifie. Par ailleurs, un “désir de performance” est stimulé dans des réseaux fondés sur la dynamique entre liberté et obéissance.

    Nous appelons “désir de performance” la mobilisation d’une disponibilité constante sur les réseaux, capable de répondre aux exigences de digitalisation de la vie dans son ensemble. Cette performance ininterrompue constitue ce que Deleuze et Guattari (1980) appellent la “servitude machinique”, chargée de mettre le désir en action, de “mettre le désir au travail” (Lazzarato, 2010, p. 178). Dans la “servitude machinique”, le désir est le “carburant” de l’engrenage qui le produit.

    Cela signifie que, sur les réseaux, nous souhaitons réaliser des comportements monétisables, organisés par la logique du classement, en collectant des données traduisibles en informations qui alimentent la prévisibilité de la consommation. Ou encore, “(…) nous constituons de simples entrées et sorties, entrées et sorties du fonctionnement des processus économiques, sociaux, communicationnels (…)” (Lazzarato, 2010, p. 170).

    Du petit-déjeuner au coucher, tout est le théâtre d’une performance à capturer, partager et datafier (Sibilia, 2016). Ce qui rend un tel spectacle spécifique, c’est qu’il divertit non seulement un public, mais qu’en divertissant, il fait appel à une autre main-d’œuvre : les adeptes. Lorsqu’il performe, l’influenceur encourage quotidiennement l’engagement de ses followers qui, à leur tour, produisent une attention traduite en données numériques.

    Ici, le terme performance est utilisé deux fois. Il fait référence à l’influenceur dans son efficacité à divertir et à capter l’attention de ses followers, ainsi qu’au follower qui, lorsqu’il est engagé, produit de l’attention, convertie en données accumulées et distribuées. Les influenceurs et les suiveurs mobilisent leur main-d’œuvre en fonction de différentes compétences et fonctions au sein de l’économie des plateformes numériques.

    Nous considérons que ce “désir de performance”, de disponibilité constante sur les réseaux, est un élément important du processus d’intériorisation d’une rationalité fonctionnelle à ce stade de la circulation du capital. L’enfant influenceur numérique est donc socialisé dès son plus jeune âge, par le désir de performer devant la caméra, motivé par la liberté de communication qu’offrent les appareils mobiles et, en même temps, par l’obéissance à partager cette performance et à gérer son engagement.

    Il n’est plus seulement un utilisateur, un consommateur ou un producteur, mais un acteur intrinsèque du fonctionnement d’un système producteur de données et d’engagement chargé d’accélérer la circulation du capital.

    Se produire sur les réseaux sociaux est donc une tâche qui subordonne notre époque, car elle parvient à synthétiser les exigences économiques dans une culture qui se généralise. Avec l’enfant influenceur, cette généralisation devient efficace à travers des pratiques qui unifient “jeu” et “travail”. En observant la “servitude machinique” chez les enfants qui “travaillent devant la télévision ; travaillent à la crèche avec des jouets conçus pour améliorer leurs performances productives” (Guattari, 1980, p. 80), Guattari anticipe ce que représente aujourd’hui dans les réseaux la métamorphose du jeu en travail.

    Considérations finales

    Dans cet article, nous tentons de démontrer que l’enfant influenceur et ses adeptes jouent un rôle central dans la reproduction de la société capitaliste contemporaine. Comme nous l’avons vu, ce sont des enfants qui travaillent et, bien qu’ils ne produisent pas de nouvelles valeurs, ils sont nécessaires à la reproduction du capital, car ils servent à accélérer la circulation du capital à travers les réseaux et les plateformes.

    Dans ce sens strictement économique, ils sont des acteurs fondamentaux dans l’augmentation des profits des grandes technologies. Dans un monde où, depuis l’après-guerre, la surproduction de biens est une préoccupation, il est essentiel d’assurer la vente de biens de manière constante et accélérée.

    En tant que légitimateur de la sphère économique, nous considérons l’enfant influenceur comme la mascotte d’une culture numérique. Il est le sujet capable d’intérioriser une rationalité économique à pratiquer, réalisée dans une sorte de “partenariat” avec ses adeptes. Pour que cette rationalité se conforme à l’idéologie, la motivation de l’influenceur est centrale, il porte et “partage” le statut d’homme d’affaires et d’auto-entrepreneur, justement pour dissimuler et fétichiser la structure économique qui prescrit sa danse, prétendument spontanée dès le début de son jeune âge.

    De plus, l’auto-entrepreneur dispose désormais d’un plus grand stimulus : il est non seulement chargé de se produire en tant que tel, mais aussi d’accumuler des adeptes. L’enfant influenceur est donc un sujet produit pour exercer les pratiques nécessaires au fonctionnement de l’économie numérique et, en même temps, un producteur d’un type d’attention central à une telle efficacité : ses followers.

    C’est dans cette duplicité entre être produit comme subjectivité modèle et, en même temps, être producteur d’une subjectivité qui éduque et reproduit, que l’enfant influenceur devient le représentant d’un nouveau métier continuellement encouragé dans la génération numérique et célébré parmi selfies et déballage. Nous parlons d’un modèle de subjectivité dupliqué, produit pour canaliser et encadrer la subjectivation du monde entre influencer et suivre.

    Ce duo codépendant, qui motive des affections, des attentes, des frustrations voire des pathologies, caractérise l’idéologie contemporaine qui nous invite (ou nous oblige) à participer à des réseaux, que ce soit comme capacité d’influence ou de suivi.

    Influencer et suivre ne sont plus la même relation entre les célébrités et leurs fans, producteurs et destinataires. Or nous influençons et/ou suivons, comme des modes qui caractérisent une subjectivation des relations sociales subordonnées à l’accumulation de capital en réseaux.

    Une telle subjectivité modèle est stimulée par un “désir de performance” qui nous accompagne dans les moments cruciaux de notre formation et de notre développement en tant qu’êtres sociaux. Que ce soit par la production ou la consommation, la performance s’impose et garantit la “danse” entre liberté et obéissance sur les réseaux. Mais, plus important encore, ce stimulus est une force idéologique qui répond à la demande économique d’accélérer la circulation du capital, moment crucial dans la reproduction d’un système où les biens produits (prévus pour être obsolètes) sont abondants et doivent être éliminés en temps réel, juste à temps.

    Par Veridiana ZURITA et José Paulo Guedes PINTO sur OutrasPalavras

    Veridiana Zurita est une artiste visuelle, réalisatrice de documentaires et chercheuse. Ce texte fait partie de ses recherches de maîtrise à l’UFABC sous la direction de José Paulo Guedes Pinto. Les images font partie d’une étude pour le court métrage INFLUÊNCIA.

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    Houssen Moshinaly

    Rédacteur en chef d'Actualité Houssenia Writing. Rédacteur web depuis 2009. Blogueur et essayiste, j'ai écrit 9 livres sur différents sujets comme la corruption en science, les singularités technologiques ou encore des fictions. Je propose aujourd'hui des analyses politiques et géopolitiques sur le nouveau monde qui arrive. J'ai une formation de rédaction web et une longue carrière de prolétaire. Pour me contacter personnellement : Whatsapp : +261341854716 Telegram : http://telegram.me/HoussenMoshine Mon compte Facebook Mon compte Twitter

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